http://www.zchor.org/LINKSHOA.HTM

Juif, mon frère, ne vois-tu pas le danger qui te menace ?

Je suis chrétien. Tu es juif. Nous sommes frères. Que de souffrances tu as endurées depuis plusieurs milliers d'années ! De ma faute souvent. Et puis, il y a soixante ans environ, la bête immonde a failli t'anéantir. Tu n'avais même plus l'apparence humaine. L'ennemi cherchait à détruire l'homme en toi. Bien plus, en toi, il cherchait à détruire Dieu. C'était si terrible que tu as failli ne pas pouvoir te relever.

Lorsque tu t'es réveillé, ton regard ne pouvait supporter la vue de ton supplice. Le traumatisme était trop grand. Comment resurgir ? Je crois que tu n'as pas pu faire ton deuil. Le mal te collait à la peau. Il t'était impossible de prendre la distance nécessaire pour faire naître une parole, susceptible de te sauver. Tu t'es dit qu'il faudrait peut-être plusieurs générations pour lui donner naissance. Jusqu'à maintenant, tu en es resté au balbutiement et même au bégaiement.

Ta souffrance était si grande que tu t'es identifié à la victime. Tu n'étais plus que victime. Tu n'as pas osé regarder la violence qui était en toi, force de mort qui s'allie à la vie pour constituer l'homme. Ici encore la shoah te jouait des tours, elle t'a empêché de voir la vérité en face et d'intégrer ce qui te paraissait inintégrable. Alors " la bête " que tu voulais fuir "est restée tapie en toi ".

Et, peu à peu, trouvant une justification à tous tes actes, tu es devenu l'ennemi de ton frère palestinien, comme s'il était le responsable du drame qui t'avait anéanti. Tes yeux étaient rendus aveugles. Tu n'as pas vu que la shoah achevait son œuvre en toi. Tu avais été victime. Maintenant, sans crier gare, elle faisait de toi le bourreau. Réveille-toi, frère juif ! Aujourd'hui, il est encore temps, mais demain il sera peut-être trop tard.

A cause de toi dans l'État d'Israël, le Palestinien est sous le coup de la terreur. Tu lui voles ses terres, tu détruis ses sources de richesse, tu fais disparaître ses chefs. Le moindre événement est un prétexte pour l'envahir et paralyser le pays tout entier. Tu répètes sur l'autre ce que l'ancien ennemi a fait sur toi. Parce que tu es le plus fort, le droit est de ton côté. Tu joues au loup et à l'agneau. Et, pour que ta conscience ne soit pas atteinte, tu recouvres du manteau de la rationalité et de la bonne foi tous tes gestes haïssables et répréhensibles. Alors que le soldat devrait se révolter pour ne pas porter la honte des actes que tu lui imposes, tu l'habilles de la camisole du devoir. Le mensonge est en train de gangrener la société israélienne. A ton tour, tu détruis l'homme non seulement chez le Palestinien mais aussi chez les tiens.

Ne vois-tu pas que tu es en train de multiplier les frustrations chez les Palestiniens et qu'ainsi tu prépares de nouveaux débordements de violence. Tu alimentes la folie du Kamikaze. Alors le bourreau a peur de redevenir la victime. L'angoisse s'empare à nouveau de toi au moment où la victime elle-même commence à relever la tête. Tu t'es enfermé dans un cercle vicieux dont il est urgent de sortir. Ce cercle vicieux pourrait anéantir aussi bien l'Israélien que le Palestinien, car la violence de l'un renforce la violence de l'autre.

Juif, mon frère, je suis mal placé pour te donner des conseils mais je pense que ta responsabilité est engagée même si tu ne vis pas en Israël, du fait de la solidarité fraternelle. Je veux simplement te mettre en face de ta tradition, qu'ont illustrée de nombreux justes, en commençant par Abraham. Au lieu de sacrifier Isaac, en croyant à tort qu'il s'agissait d'une injonction divine, il a sacrifié sa propre toute-puissance, sous les traits du bélier, pour laisser toute sa place à son fils et lui donner la parole. Abraham te trace la voie. Il n'y en a pas d'autres. Sacrifie ta toute-puissance pour donner sa place à ton frère Palestinien et faire naître, avec lui, une parole d'alliance.

Etienne Duval, le 9 juillet 2006