La belle histoire de Jean-Pierre, un clochard redevenu chauffeur de car
Nous venons de fêter Noël et je ne peux m'empêcher de penser à tous les SDF que je rencontre à la Croix Rousse, en sortant de chez moi, le matin. S'ils sont là, ce n'est pas parce que la Croix Rousse est un quartier pauvre, mais c'est plutôt parce qu'ils se sentent mieux qu'ailleurs dans ce quartier privilégié.
Il y a quelques années, j'ai réalisé une petite étude sociologique sur les clochards de Lyon, en prenant comme terrains d'enquête, Perrache et le restaurant La Rencontre, tout près de chez moi. Or, un soir, je découvre Jean-Pierre, qui faisait la manche au bas de l'escalier mécanique de la gare conduisant à la Place Carnot. Son histoire m'émeut profondément. Il est sur Lyon, depuis neuf ans. Il était chauffeur de car, il y a une dizaine d'années, dans une ville du midi. Sa femme commença à avoir des doutes sur sa fidélité parce qu'il rencontrait beaucoup de monde dans ses différents voyages. Il l'assura que ses doutes n'étaient pas fondés mais rien n'y fit. Le manque de confiance de son épouse le fit chuter, provoquant une petite dépression et un divorce auquel il ne s'attendait pas. Il quitta son entreprise et un sursaut salutaire lui permit de se faire réembaucher par une autre société de transport. Au bout de trois mois, son employeur lui avoua qu'il faisait bien l'affaire. Mais il ne voulait pas continuer à être harcelé par sa femme, cherchant à s'assurer qu'elle recevrait bien sa pension alimentaire. C'en était trop. Il quitta les lieux et s'en fut dans une autre ville pour apprendre à quêter et c'est ainsi qu'il se retrouva dans la cité lyonnaise. Fréquemment il téléphonait à son ancienne femme, sans parler, simplement pour entendre la voix de sa fille, qui avait 16 ans, au moment où je fis sa connaissance.
Daniel Luder, un routard célèbre, à qui j'avais fait écrire sa vie et qui avait établi son quartier général dans la rue des Remparts d'Ainay, connaissait Jean-Pierre. Nous fîmes le point et nous décidâmes de l'aider à s'en sortir. Nous étions alors cinq à entrer en action : Jean-Pierre, Daniel, deux autres clochards et moi. Mon appartement allait servir de lieu de réunion et de repas. Très rapidement le Directeur régional du Travail et de l'Emploi que je connaissais bien s'agrégea à notre petit groupe. Daniel fit rapidement sa connaissance, se mit à le tutoyer comme un ancien ami et frappait régulièrement à sa porte sans aucune autorisation. Naturellement enclin à la compassion face à la misère humaine, le directeur se laissa faire et se prit au jeu. Daniel jouait le rôle d'intermédiaire entre tous. Nous formions ainsi une sorte de petite communauté d'action agrémentée par les repas que nous prenions chez moi ou dans un foyer de Caluire.
Jean-Pierre était prêt à tenter l'aventure. Il y avait
pourtant un petit problème : comme beaucoup de clochards, il était
un peu porté sur la bouteille de vin blanc. Ce n'était pas un
ivrogne, mais sa fâcheuse habitude quotidienne n'était pas compatible
avec un travail régulier. Qu'à cela ne tienne : Daniel et les
deux autres clochards y prêteraient attention et feraient tout pour qu'il
se corrige progressivement. Je pense que leurs efforts furent couronnés
de succès. Lorsque le Directeur du Travail sentit que son candidat était
prêt, il prit contact avec l'AFPA de Saint Etienne et sollicita en sa
faveur un stage de remise à niveau pour la conduite de cars. Sa position
hiérarchique facilita la tâche et Jean Pierre prit la direction
de la ville voisine, non plus pour apprendre à quêter mais pour
retrouver son ancienne qualification. Il rebroussait chemin mais c'était
pour un nouveau départ. Tout se passa bien et nous apprîmes plus
tard qu'il conduisait des cars scolaires. Assez étrangement Daniel et
les deux autres clochards qui avaient participé à sa réhabilitation
ne firent rien pour retrouver sa trace. Ils avaient servi de passeurs mais Jean-Pierre
était passé de l'autre côté ; il ne faisait plus
partie du même monde…
Vous avez sans doute votre histoire avec des SDF, ou d'autres personnes en difficulté
qui habitent tout près de chez vous. N'hésitez pas à nous
la raconter…
Etienne Duval