La communauté oubliée et l'impasse politique
La communauté est en train de frapper à la porte parce que nous l'avons oubliée. Comme une mère abusive, elle peut nous enchaîner. Mais nous ne pouvons rejeter la mère sinon nous n'aurons plus d'enfants. Il faut simplement lui donner sa juste place pour que la vie de tous puisse s'épanouir. Aujourd'hui, il n'est pas trop tard pour ouvrir notre porte à celle qui est devenue une étrangère. La communauté arrive, chargée de cadeaux : elle peut nous empêcher de tourner en rond et ouvrir à nouveau l'espace de l'avenir.
L'intégration des étrangers compromise
En France, l'étranger souffre. Il n'arrive pas à s'intégrer.
Il demande l'hospitalité mais, depuis longtemps, nous avons perdu le
sens de l'hospitalité ; depuis longtemps, nous avons perdu le sens de
la communauté. Nous voudrions qu'il soit comme nous. Mais il ne peut
renoncer à ce qu'il a de particulier. Non, il n'est pas comme nous et
il le revendique. Nous voudrions lui faire croire que nous sommes en avance
sur lui. Parfois il finit par le croire mais très vite il se sent pris
au piège d'un mensonge.
Nous accusons la communauté mais la communauté
nous accuse
La communauté de l'étranger nous effraie. A peine, le mot est-il
prononcé, que nous pensons communautarisme. Nous ne voyons pas qu'en
rejetant sa communauté nous provoquons une réaction de défense.
Écarté, il s'arque boute sur le bien qu'il porte. Manquant d'air,
le bien qu'il porte finit par l'enchaîner. Il donne alors naissance à
des réflexes communautaristes et engendre l'intégrisme.
En fait, la communauté est en nous, rejetée dans l'inconscient. Elle resurgit, réveillée par le miroir de l'étranger. Nous nous obstinons à la tenir enfermée. Mais peu à peu elle se faufile et finit par remonter à la conscience. Ce que nous refusons chez l'étranger, c'est une partie de nous-mêmes, c'est la communauté refoulée. Plus nous la refoulons, plus nous refoulons l'étranger, à qui nous rendons la vie impossible.
Elle porte nos racines, parentales, culturelles et spirituelles
Nous voudrions que l'étranger abandonne la communauté à
nos frontières. Mais comment le pourrait-il ? C'est un de ses biens les
plus précieux. Elle porte les racines de la vie d'aujourd'hui et de demain.
A travers elles, c'est sa filiation qu'elle porte : filiation parentale, filiation
culturelle, filiation spirituelle. Alors, nous, qu'avons-nous fait de notre
propre filiation si nous persistons à renoncer à la dimension
structurelle de la communauté ? Est-il possible que nous ne venions de
nulle part ? Est-il possible qu'il faille renoncer à sa filiation pour
engager l'avenir ? Est-il possible qu'il faille rayer d'un trait de plume toutes
les cultures locales et toutes les cultures étrangères pour donner
naissance à notre propre société ? Là sans doute
se cache l'un de nos plus gros mensonges.
En rejetant la communauté, nous rendons la démocratie
illusoire
Séparé de la communauté, l'individu devient un être
sans chair que l'on peut additionner, soustraire et multiplier. Il est réduit
à une marchandise. On peut l'acheter et le vendre au gré de ses
intérêts. La société se divise alors en deux classes
: ceux qui possèdent et ceux qui sont possédés. On fait
croire à l'individu qu'il est libre parce qu'il est libéré
de l'enchaînement communautaire. Il appartiendrait à la société
de l'engendrer comme sujet. Mais la société, qui a rompu ses liens
avec la communauté, est impuissante à engendrer. En mimant la
communauté, elle engendre des sujets fantômes. La démocratie
est une abstraction de la démocratie et l'abstraction contribue à
inverser tous les processus. L'intérêt privé prend le pas
sur le bien commun. L'économie l'emporte sur le politique et l'écologie
qui préserve la vie est soumise aux intérêts économiques…
La solution politique n'est ni à gauche ni à
droite, elle est devant nous dans l'engendrement du sujet
On voudrait que la vérité soit à gauche ou à droite.
La droite défend à juste titre l'initiative mais elle crée
d'énormes inégalités. De son côté, la gauche
met très justement l'accent sur la solidarité mais elle extirpe
le pouvoir du citoyen pour le donner au collectif. Alors les Français
sombrent dans le désespoir et le pessimisme : le présent est sombre
et leur avenir leur échappe. Chacun cherche des responsables mais il
n'y a pas de responsables. C'est le système qui est le vrai responsable
mais il travaille dans l'ombre et passe inaperçu. Tous sont trompés
par lui ; il a oublié la pièce essentielle de la communauté
et rend impossible la constitution du sujet.
Alors il convient d'ouvrir la porte à l'étranger qui nous rapporte la communauté perdue. Nous pensons qu'il nous menace. En réalité, il est le mage qui nous montre l'étoile de la vie et de la véritable hospitalité. Il nous offre un cadeau somptueux. Avec la communauté retrouvée il deviendra possible de découvrir la solution politique d'aujourd'hui : elle est devant nous, dans l'engendrement du sujet.
Le sujet est, en même temps, fait de chair et d'esprit
Le sujet est un individu de chair, d'une chair que seule la communauté
peut lui donner. Seule la communauté peut l'aider à sortir de
l'abstraction dans laquelle il se trouve, malgré lui, enfermé.
Il est d'autant moins voué à se transformer en marchandise qu'il
est, par essence, ouvert à l'universel et au spirituel. Ses pieds sont
sur terre mais sa tête est dans le ciel. Pour survivre et se développer,
il a besoin de revenir aux sources de la vie, dans ses racines que porte la
communauté.
Sa place est dans l'espace d'interaction, entre la communauté
et la société
La communauté n'est pas la société et la société
n'est pas la communauté. Pour simplifier, disons que la communauté
est le lieu des racines ; la société est celui des projets. Elles
ont besoin d'être séparées parce que leur séparation
est la condition de leur interaction. La communauté est toujours particulière
alors que la société doit être laïque pour offrir à
chacun son espace, quelles que soient ses convictions.
Pour se développer le sujet a besoin de l'une et de l'autre. Mais sa place privilégiée est dans l'entre-deux, dans l'interaction qui les fait vivre et permet leur développement respectif.
Seul l'engendrement du sujet peut donner sens à une véritable démocratie.
Etienne Duval, le 19 janvier 2011