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La confrontation actuelle de tous les courants culturels et spirituels
Le risque d'un apport idolâtrique du christianisme
Je suis bien conscient d'aborder ici un problème délicat pour
les croyants chrétiens. Je souhaite, avant tout, respecter leur foi.
Mais il n'est pas question de m'attribuer une compétence théologique
que je n'ai pas. Loin de moi l'idée de me mêler à une joute
d'experts puisque je n'en ai pas la qualification. C'est d'un point de vue extérieur
que je veux parler ici, c'est à partir de l'observation des confrontations
culturelles et spirituelles qui sont en train de construire le monde de demain
que je compte m'exprimer. Même s'ils se présentent sous un mode
affirmatif, mes propos seront plutôt une question, visant à permettre
au christianisme d'apporter son trésor en vue de la construction d'une
société pour l'homme. Il se pourrait en effet que l'idéologie
chrétienne, dans son fonctionnement pratique, engendre chez le croyant
une attitude idolâtrique très pernicieuse pour le monde dans son
ensemble. Si l'on n'y prend garde, l'idolâtrie risque d'être à
l'origine de violences meurtrières.
La construction d'un monde pour l'homme
Nous avons tous aujourd'hui la responsabilité de créer un monde
pour l'homme, où chacun puisse devenir un véritable sujet, autonome
et ouvert à l'autre. Une prise de conscience est en train d'émerger
: il existe un jeu d'interactions universel, dans l'univers humain comme dans
l'univers physique. C'est pourquoi des confrontations s'imposent aujourd'hui,
et personne ne sait, au point de départ, ce qui peut en sortir. Dans
ces conditions, le christianisme est un courant spirituel parmi d'autres. Il
doit laisser leur place à tous les autres courants, sans prétendre
imposer sa maîtrise à l'ensemble. Peu à peu émergeront
les lignes de crêtes les plus décisives.
Le besoin d'une reformulation du mystère chrétien
Les formulations chrétiennes sont datées. Une des plus importantes
nous vient du Concile de Nicée en 325. Les pratiquants catholiques la
reprennent dans le Credo : Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ,
le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles…
L'influence de Constantin, l'empereur romain et " l'évêque
du dehors ", y est importante : c'est lui qui convoqua le concile pour
mettre un frein aux dissensions théologiques, responsables de troubles
publics. C'est aussi dans son palais qu'eurent lieu, en sa présence,
toutes les délibérations. Les évêques d'Occident
étaient très peu nombreux et le pape lui-même s'était
fait représenter.
Il s'agissait, avant tout, d'affirmer le principe du Dieu en trois personnes,
le Père, le Fils et le Saint-Esprit car Arius évacuait la Trinité
en ne déclarant comme vrai Dieu que le Père. Le plus important
était de retenir qu'en Jésus-Christ se révèle l'initiative
du Fils de Dieu, dans une absolue liberté, de transmettre à l'homme,
à toutes les femmes et à tous les hommes, la filiation divine,
qui lui appartient en propre. Aussi, Jésus est-il le premier bénéficiaire
d'un tel don.
Or, sans vraiment s'en apercevoir, le Concile établit une identité
entre le Révélateur et celui qui reçoit la révélation,
entre l'Initiateur et le bénéficiaire du don : " Jésus-Christ,
le Fils unique de Dieu " ; il ne voit pas comment sauvegarder autrement
la filiation unique de Dieu. Dans le jeu symbolique, il confond apparemment
le symbole et la réalité : nous pourrions être dans l'idolâtrie
ou, pour le moins, aux portes de l'idolâtrie. La permanente initiative
du Fils et son absolue liberté tendent à être effacées.
Et pratiquement, les hommes ont de la difficulté à accéder
au Mystère, qui les dépasse infiniment, de Celui qui est le Verbe
de dieu, l'Intelligence organisatrice du monde, puisque tout est présent
dans le Christ. A la limite, ils ne peuvent être que des fils de seconde
zone dans la mesure où ils tirent leur filiation non pas directement
de Celui qui est Fils de toute éternité, mais de Jésus-Christ,
qui, dans le jeu des représentations, pourrait leur barrer la route,
au lieu de les ouvrir au Mystère.
Je sais qu'en parlant de cette manière je me situe formellement dans
l'hérésie mais je prends ce risque pour sortir de la confusion
et rendre au Christ sa véritable fonction : nous révéler
le Fils présent en lui et finalement présent au cœur de l'homme,
et nous ouvrir la voie afin de recevoir le don de Celui qui nous appelle pour
entrer en relation intime avec Lui et devenir nous-mêmes des fils de Dieu.
C'est ainsi que nous pourrons nous inscrire dans la multitude de ses frères,
les hommes.
En fait, la formulation du concile de Nicée apparaît assez maladroite.
Elle tend à sacraliser les pouvoirs : celui de l'empereur, représentant
temporel du Christ, celui du pape et des évêques, représentants
spirituels du Fils de Dieu fait homme, sur la terre. Bien plus, elle pourrait
produire pratiquement des comportements idolâtriques chez les croyants,
au risque de détruire leur propre foi. En voulant s'opposer théoriquement
à l'arianisme, le concile de Nicée ne fait pratiquement que le
confirmer : pour éviter l'idolâtrie, le croyant risque de transférer
concrètement toute la divinité sur le Père.
Il semble donc nécessaire, dans ce temps de confrontation générale,
de reformuler la foi chrétienne pour qu'elle soit compréhensible
par tous les hommes. Il ne faudrait pas alors que son critère premier
apparaisse, de manière perverse, comme l'acceptation de l'idolâtrie.
La vie, un grand jeu avec l'Autre
La vie est en réalité un grand jeu, où chaque élément
de la Création, chaque être, plante, animal, homme, est en relation
interactive avec tous les autres au point d'acquérir et d'entendre la
parole, comme dans le Cantique des créatures de Saint François
d'Assise.
…
Loué sois-tu, Seigneur,
Avec toutes tes créatures,
Spécialement messire le Soleil,
Par qui, tu nous donnes le jour, la lumière ;
Il est beau, rayonnant d'une grande splendeur,
Et de toi, le Très Haut,
Il nous offre le symbole.
Loué sois-tu
Mon Seigneur,
Pour sœur Lune
Et les étoiles dans le ciel :
…
Loué sois-tu,
Mon Seigneur,
Pour frère Vent,
…
Loué sois-tu,
Mon Seigneur,
Pour notre mère la Terre,
Qui nous porte
Et nous nourrit,
Qui produit la diversité des fruits,
Avec les fleurs diaprées
Et les herbes.
…
Loué sois-tu,
Mon Seigneur,
Pour notre sœur la Mort corporelle,
À qui nul homme vivant
Ne peut échapper…
Ainsi le jeu symbolique de la création confère une âme à chaque élément et chaque être de l'univers. Mais Saint François nous montre que ce jeu n'est possible que s'il est d'abord un jeu avec l'Autre : le croyant le nommera Dieu, l'agnostique, le mystère, l'athée, l'inconnu en attente de connaissance… L'homme tire son dynamisme du jeu avec sa limite et l'au-delà inconnu de sa limite ; il s'ouvre ainsi non seulement à la recherche constante mais aussi à la poursuite de la création, comme s'il était le partenaire d'un Créateur invisible. Dans un tel contexte, le sens vient d'abord de l'inconnu et peut-être de l'inconnaissable, que l'individu soit croyant ou incroyant. Et, pour le croyant, l'homme devient le symbole de Dieu, autrement dit le lieu d'une incarnation toujours latente de l'Autre.
Une double révélation dans le christianisme
- La révélation de l'homme
- La révélation de l'Autre
En étant dans l'intimité de Dieu, le Christ nous révèle
d'abord l'homme. En effet Dieu le fait homme. Jésus reçoit son
humanité de l'Autre et plus il est proche de Dieu, plus cette humanité
se manifeste et devient rayonnante. En tant que chemin de vérité,
il nous dit que c'est là aussi la vocation de tout homme.
Par contrecoup, dans le jeu symbolique, l'homme révèle l'Autre.
Plus il est homme et plus l'Autre apparaît en lui. Autrement dit, dans
la foi chrétienne, Dieu révèle l'homme à lui-même
et l'homme, pleinement humain, révèle Dieu. Peut-être le
révèle-t-il aussi à Lui-même puisqu'il est son partenaire,
son image et son miroir.
Avec le concile de Nicée, l'homme Jésus
pourrait être soustrait à l'humanité
Dans sa maladresse, le concile de Nicée
tend à détruire le jeu symbolique entre l'homme et Dieu, entre
l'homme et le Fils de Dieu. Il n'y a plus vraiment de jeu puisque Jésus
est le Fils de Dieu. Ainsi beaucoup d'hommes qui se reconnaissaient en lui pourraient
se voir écartés de celui qui les révélait à
eux-mêmes et, par le fait même, pourraient se voir écartés
d'eux-mêmes. Pour eux la foi chrétienne est devenue un piège
puisqu'au lieu de faire apparaître leur fraternité avec le Christ,
elle tend à renforcer l'écart quasi infranchissable, qui les sépare
de lui.
Le blocage des relations avec les Juifs et les Musulmans
Pour les Juifs et les Musulmans, qui ont une très grande sensibilité
à la transcendance, l'affirmation du concile de Nicée est une
imposture radicale. Dans la grande confrontation qui se prépare, elle
sera le lieu d'un blocage indépassable. Chacun est prêt à
accepter le Christ, comme celui qui peut ouvrir le chemin vers une filiation
réelle avec Dieu. Mais la fusion entre l'homme Jésus et le Fils
de Dieu sera toujours un obstacle radical pour le grand jeu symbolique de la
création, qui est appelé à rassembler tous les hommes.
Dès lors, une des tâches primordiales des églises chrétiennes
consisterait à libérer le Christ de l'idolâtrie dans laquelle
on semble l'avoir enfermé, pour le rendre aux hommes, le rendre aux Juifs
et aux Musulmans, et finalement le rendre à Dieu Lui-même.
Rendre à Dieu ce qui est à Dieu et rendre
à l'homme ce qui est à l'homme
Pour être bien clair, il n'est pas question ici de nier la filiation divine
de Jésus pas plus qu'il n'est question de nier la filiation divine à
laquelle tous les hommes sont appelés. Mais, en même temps, il
est nécessaire de reconnaître la permanente initiative du Fils
de Dieu dans le don de sa filiation. Or cela ne semble possible que si, contrairement
à ce qu'exprime le concile de Nicée, on n'établit pas une
équivalence entre le Christ et Celui qui est Fils de Dieu de toute éternité.
En fait, du point de vue chrétien, pour accéder à cet aboutissement
de l'Alliance divine avec les hommes, il apparaît indispensable de séparer
ce qui appartient à Dieu, dans son absolue liberté, et ce qui
appartient à l'homme. Il est toujours nécessaire de séparer
pour unir, si l'on veut sauvegarder et promouvoir le sujet humain. Pour qu'il
y ait jeu avec l'Autre sans aliénation, il convient d'ouvrir l'espace
de jeu entre Dieu, dans sa Trinité, et tous les hommes. L'espace de jeu
est ouvert lorsque les rôles sont bien définis. L'homme est celui
qui reçoit la filiation divine : il ne peut l'acquérir de ses
propres forces. Dieu est celui qui la donne. Là il existe une lien intime
entre accorder la filiation divine et faire don à l'homme de son humanité.
Et c'est en acceptant d'être pleinement homme et fils, que l'homme, devenu
disciple de Jésus et serviteur de l'Autre, peut être partenaire
de Dieu pour la création et le salut de tous.
Etienne Duval, le 28 août 2009
Dernière retouche à la réflexion sur la personne du Christ
Je poursuis la réflexion amorcée sur le blog (http://mythesfondateurs.over-blog.com/50-comments-35475262.html),
concernant la confrontation actuelle de tous les courants culturels et spirituels.
Il semblait que la formulation du dogme sur la personne du Christ était
à revoir dans la mesure où elle identifie Jésus-Christ
à la personne éternelle et unique du Fils de Dieu ou du Verbe
de Dieu. Cela pourrait entraîner un risque pratique d'idolâtrie.
La discussion a montré que l'accord n'était pas unanime sur ce
point. En même temps, les intervenants ont été très
sensibles à la possibilité de poursuivre la réflexion sur
ce thème estimant plus ou moins que les conciles de Nicée, Constantinople
n'étaient encore qu'une étape dans la prise de conscience des
chrétiens. C'est aussi ma position personnelle et je suis actuellement
plus en mesure, suite aux réactions des uns et des autres, de dépasser
le blocage que j'ai cru constater.
Lorsqu'on parle de Jésus-Christ, il me semble que tout se joue dans le trait d'union, c'est-à-dire dans l'entre-deux entre l'homme Jésus et le Christ, Fils de Dieu. Donner la priorité au Fils de Dieu, en pensant que l'unité entre les deux natures se fait dans sa Personne, pose une sérieuse difficulté dans la manière de se situer à son égard. Son identité est en effet très mal perçue par de nombreux chrétiens et sa dimension humaine pourrait apparaître plus ou moins fictive. Or il y a un Grand Oublié dans une telle discussion ; il s'agit de l'Esprit Saint. Pour reprendre l'image déjà évoquée, c'est lui la véritable trait d'union. C'est en Lui que s'effectuent l'accomplissement et le dépassement de la Personne du Fils et de la personnalité humaine de Jésus dans une même unité. Un engendrement nouveau surgit dans le rapport entre l'homme et Dieu, engendrement qui va se poursuivre, à un autre niveau, pour chacun des hommes appelés à la filiation divine. De cette manière, non seulement la Personne du Fils mais aussi la personnalité humaine de Jésus sont respectées. Il en va de même en chaque homme, qui doit allier la dimension humaine et la dimension de fils adoptif de Dieu.
Sans rien retrancher à l'essence de la foi chrétienne, cette manière de poser le problème me satisfait beaucoup plus que la position traditionnelle des conciles de Nicée et Constantinople. Mais il est bien évident que la discussion reste ouverte.
Je mets ce texte à la fin du blog sur la confrontation actuelle de tous les courants culturels et spirituels.
Etienne Duval, le 2 décembre 2009
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