La parole du journaliste




Florence Aubenas, journaliste de Libération

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/proche_moyenorient/20070321.OBS8170/aubenas_confirme_sa_detentionaux_cotes_des_roumains.html

 

La parole du journaliste

Le journaliste est aussi un des acteurs de la parole. Sa parole me fait vivre à l'unisson des événements du monde. Nous aurons, dans un prochain blog, le point de vue d'une ancienne journaliste de Libération, qui n'est pas prête aujourd'hui à donner son point de vue comme elle croyait pouvoir le faire. Pour le moment, je voudrais simplement me situer du côté du lecteur : face à la multiplicité des propositions que favorise internet, il a, me semble-t-il des exigences très précises que je voudrais modestement exposer ici.

Mon attente de lecteur de la presse écrite

Je ne suis pas journaliste et je ne me permettrais pas de donner des leçons à des professionnels confirmés. Mais j'ai mes exigences en tant que lecteur de la presse écrite. Le développement d'internet m'a amené à lire beaucoup plus de journaux que je ne le faisais auparavant. Il m'est facile de voir très rapidement quelles sont les nouvelles du jour. L'information abonde et j'ai besoin d'effectuer un tri dans les matériaux qui me sont proposés. C'est pourquoi, par discipline personnelle, chaque matin, je fais ma petite revue de presse, en allant d'un journal à l'autre. Chacun a ses spécialités, ses forces et ses faiblesses. Il m'est aussi possible de donner mon avis sur les blogs ; je les trouve assez souvent décevants, les intervenants ayant de la peine à sortir de l'émotion. Je voudrais donc ici dire quelle est mon attente et je m'inspirerai, pour cela, de la structure du récit dans le mythe, qui nous dévoile les différentes étapes pour atteindre la vérité.

La mise en scène

J'ai besoin, pour comprendre la nouvelle, de saisir très rapidement la situation dans laquelle elle fait son apparition. La plupart des journalistes se plient avec bonheur à une telle exigence. Les images, la présentation vivante des personnages construisent, pour moi, un espace visuel, qui me permet d'entrer, de plein pied, dans le déroulement des événements. J'ai besoin de voir pour comprendre et chacun rivalise avec efficacité pour construire la scène sur laquelle le prévisible et l'imprévisible vont se manifester.

L'événement et le jeu des acteurs

C'est alors que l'événement surgit, que les acteurs prennent position et jouent leur partition. On voit ainsi défiler coupables et victimes, héros et lâches, souvent les deux à la fois. Les témoins aussi sont là : leur parole explique, contredit, prend parti, interprète. Il faut tout l'art du journaliste pour démêler le vrai du faux. Sa qualité se mesure à sa capacité d'associer la vigueur et le pittoresque du style à la sobriété de la présentation et de la mise en ordre. D'une manière générale, les journaux semblent jouer leur crédibilité sur cette partie de leur rôle, à tel point que certains se contentent tout simplement de l'exposition des faits, laissant le lecteur se faire sa propre opinion.

Les problèmes qui se posent

Ici donc, nous assistons à un clivage. Certains journalistes abandonnent la partie par souci apparent de neutralité. D'autres poursuivent leurs investigations. Ils creusent, interrogent les faits, déterrent les questions. En fait, c'est là que commence, pour le lecteur, le véritable travail professionnel. Le lecteur est aussi spectateur d'une " intrigue policière " et il ne peut se contenter de la platitude des faits. Il sait que les faits deviennent événements lorsqu'ils posent problème, lorsqu'ils commencent à prendre la parole pour réveiller notre curiosité.

L'affrontement du journaliste à ses limites et le danger du scoop

A ce niveau, l'excitation est à son comble. On déterre les problèmes et les questions comme on déterre un trésor. C'est peut-être l'affaire du siècle ! Le journaliste pressé est tenté par le scoop. Le lecteur le presse de révéler son secret. Il a soif de sensationnel. Plusieurs finissent par céder à la tentation et livrent en pâture au public une information mal ficelée et mal vérifiée, qui s'apparente à la rumeur. Mais la rumeur peut faire des ravages et le bon journaliste le sait. Lui se retient, jauge ses limites, attend patiemment, préfère la traque de la vérité aux jeux du cirque. Le lecteur averti se dit alors que personne ne peut remplacer le journaliste professionnel. Dans de nombreux cas, lui seul peut nous éviter de basculer dans la violence.

Le retour à la complexité

En fait, la simplicité est une illusion. Il devient urgent de revenir à la complexité. Mais la complexité demande du temps pour de nouvelles investigations et un supplément de moyens que de nombreux responsables de presse ne sont pas prêts d'accorder. C'est ainsi qu'on assiste à un nouveau clivage. Les journalistes les plus pressés quittent la scène, souvent à leur " cœur " défendant. Seuls vont rester à leur poste les plus opiniâtres : ce sont des chercheurs d'or qui acceptent de prendre des risques et souvent de perdre de l'argent.

Le jeu des apparences et de la réalité

Les apparences sont à la surface. Il faut aller jusqu'au cœur pour trouver la réalité, c'est-à-dire en ce lieu où tous les fils s'entrecroisent. En tant que lecteur, j'ai besoin que des spécialistes aillent chercher le filon d'or, qui résiste au savoir faire de l'amateur. Sinon, comme tout le monde, je céderai à l'imagination et aux fantasmes. Il y a une santé de la société comme il existe une santé des individus. Sans doute le journaliste doit-il poursuivre sa recherche jusqu'au point critique de la réalité où se cache le trésor. Il participera alors à une forme de thérapie sociale qui nous arrachera aux dérives d'un imaginaire mal orienté.

Le problème de la vérité

En définitive, la parole du journaliste pose le problème de la vérité. La vérité n'est pas un aboutissement, elle est plutôt un chemin, une exigence extrême, un entre-deux, qui permet un va et vient entre l'apparence et la réalité. Elle est la place de l'Être et plus simplement la place de l'homme. J'attends que le journaliste, face aux événements de la société, m'aide à y accéder pour pouvoir cheminer vers mon propre destin tout en m'insérant dans le devenir du monde.

La constitution du sujet lecteur

Pour moi, le journaliste de la presse écrite est comme un maître d'école. Il m'apprend à lire dans le grand livre du monde, à déchiffrer le sens de l'Événement. Il m'aide ainsi à me constituer comme sujet lecteur, pour devenir à mon tour passeur de vérité. Sans doute sa tâche est-elle limitée ; elle se conjugue avec celle d'autres acteurs. Mais, dans son domaine que je ne sais qu'effleurer, elle est créatrice d'humanité.

Et vous qu'en pensez-vous ?…..

Etienne Duval, sociologue

 

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