Le jugement de Salomon




La violence au coeur du processus de la parole de vérité

Le jugement de Salomon - Nicolas Poussin

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Salomon était un homme jeune lorsqu'il succéda à David pour devenir roi d'Israël. Il était un peu inquiet de son manque d'expérience et manifestait une réelle humilité. Or, au début de son règne, il eut un grand rêve qui le mit en présence de Dieu lui-même. Yahvé lui dit : " Demande-moi ce que je dois te donner ". Comment répondre à une pareille question ? Il commence par faire l'éloge de son père et exprime son peu d'aptitude pour les affaires publiques. " Donne à ton serviteur, dit-il, un cœur plein de jugement, pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal, car qui pourrait gouverner ton peuple qui est si grand ? " Dieu ne s'attendait pas à une telle réponse. Il se montre satisfait par cette sagesse naissante, heureux qu'il n'ait pas d'abord demandé de grandes richesses, une longue vie et la victoire sur ses ennemis. Son esprit étant bien disposé, il lui promet de lui accorder ce qu'il demande : " Voici que je fais ce que tu as dit. Je te donne un cœur sage et intelligent comme personne ne l'a eu avant toi et comme personne l'aura après toi ". Là-dessus, Salomon se réveille. Ce n'était qu'un rêve, mais ce rêve révélait son désir profond qui allait traverser toute sa vie. Il pense alors que Yahvé s'est servi de ce songe pour le mettre à l'unisson de son propre désir. Sans attendre il offre au Seigneur des holocaustes et des sacrifices de communion et convie pour un grand banquet tous ses serviteurs.

" Dieu donna à Salomon une sagesse et une intelligence extrêmement grandes et un cœur aussi vaste que le sable qui est au bord de la mer. Sa sagesse fut plus grande que celle de tous les fils de l'Orient et de toute l'Egypte… On vint de tous les peuples pour l'entendre. " Le jugement de Salomon, un des joyaux de la littérature mondiale, est là pour en témoigner.

Le Jugement de Salomon


Deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui.
L'une des femmes dit : " S'il te plaît, Monseigneur !
Moi et cette femme, nous habitons la même maison
Et j'ai eu un enfant alors qu'elle était dans la maison.
Il est arrivé que le troisième jour, après ma délivrance,
Cette femme aussi a eu un enfant.
Nous étions ensemble.
Il n'y avait pas d'étranger dans la maison,
Rien que nous deux dans la maison.
Or le fils de cette femme est mort une nuit
Parce qu'elle s'était couchée sur lui.
Elle se leva au milieu de la nuit,
Prit mon fils d'à côté de moi, pendant que ta servante dormait.
Elle le mit sur son sein et son fils mort elle le mit sur mon sein.
Je me levai pour allaiter mon fils,
Et voici qu'il était mort !
Mais, au matin, je l'examinai,
Et voici que ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté ! "
Alors, l'autre femme dit : " Ce n'est pas vrai !
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! "

Elles se disputaient devant le roi qui prononça :
" Celle-ci dit : " Voici mon fils et c'est ton fils qui est mort ! "
Celle-là dit : " Ce n'est pas vrai !
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! "
" Apportez-moi une épée, " ordonne le roi.
Et on apporta l'épée devant le roi, qui dit :
" Partagez l'enfant vivant en deux
et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre. "
Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi,
Car sa pitié s'était enflammée pour son fils et elle dit :
" S'il te plaît Monseigneur !
qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas ! "
Mais celle-là disait :
" Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez ! "

Alors le roi prit la parole et dit :
" Donnez l'enfant à la première, ne le tuez pas.
C'est elle la mère ! "
Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi.
Ils révérèrent le roi car ils virent
Qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice.
(Bible de Jérusalem, I Rois, 3, 16-28))

La structure du récit

L'ange du jugement de Chagall

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La structure du récit

1. Accusation de la première femme
La première prostituée a eu un enfant, la seconde aussi, mais son enfant est mort. Celle-ci, pendant la nuit, a échangé l'enfant mort contre l'enfant vivant.

2. La seconde femme récuse l'accusation de la première
Pour elle, l'enfant de la première femme est mort et le sien est vivant.

3. Une confusion qui pose question
Comment séparer la vérité du mensonge ?

4. L'épée qui va trancher
Elle doit partager l'enfant en deux pour en donner la moitié à chacune

5. La première femme arrête l'épée
Elle préfère être séparée de son enfant plutôt que de le voir partagé : il vaut mieux le donner à la seconde femme sans le tuer.

6. La seconde femme préfère voir l'enfant partagé pour que chacune est sa part
Il ne sera ni à l'une ni à l'autre

7. Le passage de l'épée à la parole
Salomon prend la parole pour trancher et sortir de la confusion

8. Au lieu de partager, donner l'enfant tout entier à la première femme
C'est elle, la mère

9. Reconnaissance publique de la sagesse divine de Salomon
Israël apprend, il révère le roi car il reconnaît en lui une sagesse divine.

Nous avons ici toutes les étapes d'un procès : l'accusation, la défense, la question à éclaircir, le processus de manifestation de la vérité, le jugement et la reconnaissance publique de la validité du jugement. Mais ce qui retient l'attention, c'est le processus symbolique suivi pour la manifestation de la vérité, avec, à la fin, le passage de l'épée à la parole.

L'éclairage du texte par les images

La bouche de la vérité

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L'éclairage du texte par les images

1. L'enfant étouffé et l'enfant arraché
La femme à qui on arrache son enfant

2. L'obstination de la seconde femme à nier les faits

3. Les deux femmes en conflit
La confusion entre la vérité et le mensonge

4. L'épée qui doit trancher
Au départ elle est une menace, qui vise le partage en deux de l'enfant

5. La femme attachée à la vie de l'enfant
Sa peur pour la vie de l'enfant et le renoncement à la possession

6. La femme enfermée dans la mort
Elle veut finalement la mort de l'enfant vivant

7. Le passage de l'épée à la parole
Le roi prend l'épée comme on prend la parole. La parole qui sépare comme l'épée

8. La parole du roi qui tranche
Elle sépare les deux femmes, et sépare mensonge et vérité

9. Israël plein de révérence pour la sagesse du roi
Il reconnaît en lui la sagesse divine

Les images soulignent la dynamique de l'évolution intérieure des différents personnages, qui va conduire à la manifestation de la vérité et au jugement. Le peuple lui-même est impliqué comme témoin puisqu'il donne son approbation. Seule la seconde femme, enfermée dans la mort, ne bouge pas. Peut-être la séparation qu'opère le jugement entre les deux prostituées pourra-t-il lui permettre d'évoluer.

La signalétique ou les paroles du texte

Confusion

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La signalétique ou les paroles du texte

1. L'accusation
S'il te plaît, Monseigneur, moi et cette femme, nous habitons la même maison. Et j'ai eu un enfant alors qu'elle était dans la maison. Il est arrivé que le troisième jour, après ma délivrance, cette femme aussi a eu un enfant. Nous étions ensemble. Il n'y avait plus d'étranger à la maison. Or le fils de cette femme est mort une nuit parce qu'elle s'était couchée sur lui. Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon enfant d'à côté de moi, pendant que ta servante dormait. Elle le mit sur son sein et son fils mort, elle mit sur mon sein. Je me levai pour allaiter mon fils, et voici qu'il était mort ! Mais, au matin, je l'examinai, et voici que ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté !

2. L'accusation récusée
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant !

3. Le résumé de la situation par Salomon
Celle-ci dit : " Voici mon fils et c'est ton fils qui est mort ". Celle-là dit : " Ce n'est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! "

4. L'ordre d'apporter une épée
Apportez-moi une épée… Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre.

5. La première femme veut arrêter l'épée qui va partager l'enfant
S'il te plaît, Monseigneur ! Qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas !

6. La seconde femme veut que l'épée partage l'enfant
Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez !

7. Le jugement
Donnez l'enfant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère !

D'emblée, on remarque que la première femme est dans la parole alors que la seconde ne l'est pas : les explications de celle-ci sont très brèves et s'enferment dans la négation. Par ailleurs la première prostituée formule l'accusation avec une très grande précision et souligne ce qui est en jeu : la confusion dans laquelle se trouve la première femme. Elle habite la même maison, a un enfant trois jours après son amie, se couche sur son bébé comme si elle s'identifiait à lui au point qu'elle l'entraîne dans la mort et finalement pense que l'enfant de l'autre est aussi le sien. La confusion ici apparaît comme un facteur de mort. Tout est déjà dit, mais Salomon veut avoir la confirmation de la vérité qu'il perçoit, par la parole de chacune des deux femmes. C'est pourquoi il utilise le stratagème de l'épée comme une provocation pour que la vérité s'exprime.

La violence au coeur du processus de la parole de vérité

Miniature représentant la Jugement de Salomon

http://www.supair.com/photo/Ethiopie/ethiopie0223

 

La violence au coeur du processus de la parole de vérité

Deux jeunes femmes vivent de la prostitution. Elles habitent la même maison, partagent leurs repas quand elles sont disponibles et parfois même leur argent pour faire face aux dépenses communes. Elles ont l'une pour l'autre une amitié sincère, qui donne un peu de cohérence à leur existence morcelée. Chez elles, tout se ressemble : les habits, les goûts esthétiques, la manière de parler, les histoires qu'elles racontent. La seconde, il est vrai, a tendance à imiter sa compagne si bien que son mimétisme tend à accroître encore la promiscuité dans laquelle elles vivent. Finalement leur relation est marquée par la fusion et la confusion. On les prend parfois pour deux sœurs jumelles. Elles ont de la peine à savoir ce qui est propre à l'une et ce qui appartient à l'autre. Souvent, elles manifestent de grands épanchements de sentiments mais elles finissent par éprouver des tiraillements qui dégénèrent en conflits.

L'enfant échangé pendant la nuit

La première a accouché d'un garçon qu'elle adore. Est-ce par un hasard de circonstances ou par une subtile imitation, la seconde a accouché trois jours après. Elle manifeste une très grande joie, en dépit des difficultés que va entraîner cet événement pour le travail quotidien. Il est vrai qu'elle a peu d'expérience, et elle ne sait pas mettre la distance nécessaire entre elle et sa progéniture. L'enfant continue à faire partie d'elle-même, comme s'il était encore dans son ventre. Ce soir là, elle l'a mis sur son sein, puis elle s'est endormie. Sans s'en rendre compte, elle s'est retournée : le jeune garçon a subi tout le poids de son corps. Il est mort étouffé. A son réveil, la femme s'aperçoit du désastre : elle est affolée, ne sait que faire, se dit que son enfant ne peut pas être mort. Alors, dans son égarement, elle le porte sur le sein de l'autre femme et prend pour elle le garçon qui respire normalement. Elle n'a pas fait de bruit. La nuit continue, comme si de rien n'était, son paisible déroutement.

La coupable ne reconnaît pas son forfait

Lorsque l'amie se réveille, elle se lève gaiement pour allaiter son enfant. Mais l'enfant s'est raidi et ne porte plus la vie. La femme le regarde, l'examine avec une attention infinie : elle ne reconnaît pas son garçon. Ses cheveux sont plus longs, plus foncés et les taches de rousseur qu'elle avait remarquées sur son front ont mystérieusement disparu. Aussitôt elle comprend le stratagème et vient interpeller sa compagne qui tarde à se lever. L'amie ne veut rien entendre. Sa réponse est brève et sur la défensive. Manifestement elle n'est pas dans la parole, car, dans sa vie, l'autre n'a pas de prise. Comment pourrait-elle parler, en dehors d'un bavardage répétitif, si elle ignore l'altérité ? Le sens lui échappe et elle semble encore incapable de porter un jugement de vérité. Pour elle, les choses ne sont pas si claires, en tout cas beaucoup moins claires que pour le lecteur lui-même. Ce qui est à l'autre lui appartient aussi. Et elle ne peut imaginer que son enfant soit mort. Donc le sien est celui qui est vivant. D'ailleurs, elle n'est pas prête à affronter la mort. Elle doit l'esquiver à tout prix.

La confusion ou le conflit pour le même enfant

La première femme ne peut en rester là : elle en appelle au roi Salomon, qui a une réputation de grande sagesse. La seconde est d'accord pour faire entendre sa vérité. Le roi se laisse émouvoir et demande aux deux plaignantes de se présenter devant son tribunal avec l'enfant vivant. Il les entend alors l'une après l'autre. Chacune a sa version, ce qui ne permet pas de trancher. Les voyant dans la confusion et le conflit, il a vite fait de résumer la situation. Celle-ci dit : " Voici mon fils et c'est ton fils qui est mort ! " Celle-là dit : " Ce n'est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! " Il a une intuition : il se dit que seule la vraie mère ne peut pas mentir. Il faut trouver un stratagème pour qu'elle puisse se dévoiler. Il pense alors au recours à la violence, dont la vocation la plus saine est de séparer pour introduire une clarté nouvelle.

La menace de l'épée

Salomon imagine une mise en scène. Les femmes seront, avec lui, les actrices d'une pièce de théâtre qu'elles viennent d'ébaucher. Il faudra aller jusqu'au bout pour arriver au dénouement. Il demande qu'on lui apporte une épée. Un serviteur arrive avec l'arme qu'il a sortie de son fourreau. Ceux qui assistent au procès se demandent quelle idée le roi a derrière la tête ; il n'a pas la réputation d'un bourreau. Ils ont pourtant un mouvement de recul lorsqu'il ordonne de partager l'enfant vivant en deux et d'en donner la moitié à l'une et la moitié à l'autre. Le serviteur hésite, regarde Salomon qui reste impassible.

L'interruption du processus de la violence

Lorsque l'épée se lève, la première femme l'arrête. L'interruption de la violence meurtrière fait partie du processus imaginé par Salomon. Et lorsqu'on dit interruption, il s'agit bien d'interrompre et non d'arrêter. Le roi sait qu'il faut détourner l'épée de son objet premier pour lui faire jouer un autre rôle. Cela, la femme ne le sait pas. Elle est engagée dans un jeu qu'elle ne maîtrise pas et dont seul Salomon connaît les règles. Mais elle joue son rôle à merveille.

La symbolisation de la violence

En arrêtant l'épée, la femme dont la pitié s'était enflammée pour son fils interpelle le roi : S'il te plaît Monseigneur ! Qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas ! Mais l'autre s'exclame : Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez ! Dans le premier cas, c'est l'amour maternel qui s'exprime en vérité. Dans le second, c'est la volonté de n'être pas séparée de son amie : si, en effet, celle-ci est la mère de l'enfant vivant, elles ne seront plus dans la même situation et entreront dans la différence séparatrice. Or cela lui paraît impossible.

Ce qui vient de se passer c'est la symbolisation de la violence elle-même. Il s'agissait de détourner la force de mort de sa trajectoire première pour en faire une alliée de la force de vie, figurée par l'amour maternel. Autrement dit la symbolisation de la violence consiste à lui redonner sa véritable fonction, qui consiste à promouvoir la vie. Elle permet ainsi d'entrer dans l'alliance de la vie et de la mort.

La violence symbolisée promeut la vie en séparant

Un léger sourire traverse maintenant le visage de Salomon comme si la lumière venait de faire son entrée dans son esprit. Il ordonne alors à son serviteur de remettre l'arme dans son fourreau. L'épée a déjà tranché. Elle a séparé le mensonge et la vérité, la mère et son enfant vivant, les deux femmes, les deux mères, l'enfant vivant et l'enfant mort. La vie peut désormais poursuivre son élan, plus forte que jamais.

La violence symbolisée donne naissance à la parole de vérité

La symbolisation de la violence a donc permis de révéler la vérité. Il appartient maintenant à la parole du juge de dire ce que la violence a révélé. C'est donc elle qui prend le relais. Donnez l'enfant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère ! En fait, la parole de vérité n'est pas seulement un dire : elle est remise en ordre ou plus directement organisation d'un ordre créateur. Nous sommes tout près de la Parole divine, qui sépare la lumière et les ténèbres, les eaux d'avec les eaux, la mer et la terre...

La soumission à la Loi d'amour, au fondement du processus de la parole de vérité

Il appartient maintenant à Israël de porter le jugement définitif. Il voit en Salomon une sagesse divine pour rendre la justice. Or la sagesse divine n'est pas d'abord une expression de l'intelligence : elle prend sa source dans le cœur de Dieu comme l'avaient déjà souligné les sages égyptiens. Autrement dit, elle est le fruit de l'amour. C'est donc parce qu'il se soumet à une Loi d'amour, que Salomon, peut, à sa façon, réinventer le processus de la parole de vérité, qui intègre la violence.

Le roi Salomon dans les psaumes - vers 1470

http://www.islam-paradise.com/paradis_islam.php

 

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