Le mythe de Narcisse
et le fonctionnement humain









Le mythe de Narcisse nous offre des perspectives extraordinaires pour l’analyse du fonctionnement humain. S’interrogeant sur l’inceste originel qui marque l’humanité tout entière, il nous renvoie au don de l’amour, qui sollicite l’acceptation de chaque individu. L’avenir de chacun dépend de ce choix fondamental qui nous ouvre à une forme de transcendance. L’amour humain ne se suffit pas à lui-même : il est marqué par un manque qui le relie apparemment à un amour absolu qui le fonde. Cet amour absolu semble n’être rien d’autre que l’acte par excellence, l’existence au sens fort du terme qui enveloppe le monde. Il n’est pas question de lui donner un nom. Disons simplement qu’il est ce sans quoi notre propre existence s’effondre. Aussi est-il normal que tout destin personnel s’engage à partir de l’acceptation ou du refus du don initial d’un tel amour.

 

Dès lors, il devient possible de lire dans le mythe une forme d’explication de l’inceste originel. En même temps, l’analyse de ce mythe permet de proposer un modèle pour comprendre le  développement et le fonctionnement humain. Nous pouvons ainsi mieux repérer les effets de l’inceste et du viol sur le cheminement d’une vie et peut-être trouver plus facilement des réponses appropriées pour y faire face. Par ailleurs, assez étrangement le mythe fait référence à la drogue, puisque la racine de « narcisse » évoque un engourdissement qui peut aller jusqu’à la mort ; elle a donné naissance au mot « narcotique ».  La drogue est un moyen d’apaiser le manque existentiel, qui devrait nous acheminer vers notre être profond. En ce sens, comme nous le verrons, elle constitue un obstacle important au devenir de chaque être humain.  C’est donc aussi sur ce phénomène que le mythe de Narcisse permettra de nous interroger. Enfin, par un certains côtés, la drogue constitue une métaphore de la société de consommation, qui, dans ses excès, cherche également à satisfaire le manque, sans lui laisser jouer le rôle de passeur pour l’accession de l’homme à un niveau supérieur. Pourquoi dès lors ne pas poursuivre l’interrogation qui nous emmène au cœur de notre société ?

 

1. Le texte du mythe


Narcisse était de Thespies : il était fils de Liriopé, la Nymphe bleue que le dieu-Fleuve Céphise avait un jour emportée dans ses tourbillons et violée. Le devin Tirésias dit à Liriopé, qui fut la première personne à le consulter : « Narcisse vivra très vieux, à condition qu’il ne se regarde jamais ». On était bien excusable alors de tomber amoureux de Narcisse ; enfant et adolescent déjà, sa route était semée des cœurs de ses soupirants des deux sexes qu’il avait repoussés avec indifférence ; il était en effet farouchement orgueilleux de sa propre beauté.

 

Parmi ses amoureux se trouvait la Nymphe Écho qui ne pouvait plus se servir de sa voix si ce n’est pour répéter comme une insensée les paroles de quelqu’un d’autre ; c’était une punition pour avoir longtemps retenu l’attention d’Héra, racontant de longues histoires pendant que les concubines de Zeus, les nymphes de la montagne échappaient à son œil jaloux et parvenaient à s’enfuir. Un jour que Narcisse était sorti pour prendre des cerfs au filet, Écho le suivit furtivement dans la forêt épaisse, dévorée du désir de lui adresser la parole mais incapable de parler la première. A la fin, Narcisse s’étant aperçu qu’il s’était égaré et avait perdu ses compagnons, cria : « Holà, y a-t-il quelqu’un par ici ? – Par ici ! » répondit Écho, ce qui surprit Narcisse car il ne voyait personne. « Viens ! –Viens ! – Pourquoi me fuis-tu ? – Pourquoi me fuis-tu ? – Rejoignons-nous ! - Rejoignons-nous ! » répéta Écho et, sortant de sa cachette, tout heureuse, elle se précipita pour embrasser Narcisse.

 

Mais il la repoussa brutalement et s’enfuit. « Je mourrai plutôt que d’être à toi. – Être à toi », implora Écho. Mais Narcisse était parti, et elle passa le restant de sa vie dans des vallons abandonnés, se languissant d’amour et se laissant dépérir par mortification, au point que seule sa voix subsista.

 

Un jour, Narcisse envoya, en présent, une épée à Ameinias, le plus tenace de ses soupirants, et dont le fleuve Ameinias porte le nom ; c’est un affluent du fleuve Hélicon qui se jette dans l’Alphée. Ameinias se tua devant la porte de Narcisse, faisant appel aux dieux pour venger sa mort.

 

Artémis l’entendit et fit que Narcisse tomba amoureux. Mais elle l’empêcha de consommer son amour. A Donacon, à Thespies, il vit une source ; elle était claire et argentée et n’avait encore jamais été touchée par un troupeau, ou des oiseaux, ou des bêtes sauvages, ni même par des branches tombées des arbres, qui l’ombrageaient ; et, comme épuisé de fatigue, il s’était laissé tomber sur l’herbe, pour étancher sa soif, il tomba amoureux de sa propre image, reflétée dans l’eau. Il commença par essayer de saisir et d’embrasser le beau jeune homme qui se trouvait devant lui, mais il se reconnut lui-même et, transporté d’amour, resta couché à regarder dans l’eau pendant des heures.

 

Comment supporter à la fois de posséder et de ne pas posséder ? Il était miné par le chagrin et, cependant, il se réjouissait de son tourment ; il sut au moins que son autre moi lui restait fidèle, quoi qu’il arrive.

 

Écho, bien qu’elle n’eût pas pardonné à Narcisse, souffrait avec lui ; elle répéta en écho à sa voix : « Hélas ! Hélas ! », comme il se plongeait un poignard dans sa poitrine ; et elle redit aussi sa dernière phrase au moment où il expirait : « Ô toi, jeune homme que j’ai vainement aimé, adieu ! »

 

Son sang s’écoula dans la terre et il naquit un narcisse blanc à corolle rouge dont on extrait un baume, à Chéronée, de nos jours encore. Il est recommandé dans les affections des oreilles (bien qu’il puisse occasionner des maux de tête) et comme vulnéraire contre les engelures. (Les mythes grecs, Robert Graves, traduit de l’anglais par Maurice Hafez, Hachette Littératures, tome I, collection Pluriel, p. 306)

 

2. L’analyse sommaire du mythe

 

 

 

 

 

 

 

8

MORT PROGRAMMEE DANS UNE FORME DE SUICIDE PROGRESSIF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

UN TRAUMATISME ORIGINEL LIE A UNE RELATION INCESTUEUSE, VIOLENTE ET SANS PAROLE

 

 

 

7

DEDOUBLEMENT DE L’AMOUR, QUI DETRUIT L’AMOUR

·         Au lieu de se tourner vers l’autre, l’amour se tourne vers sa propre image

·         L’amour de soi lui-même est impossible

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

LA SOLUTION DE TIRÉSIAS : PASSER DU REGARD A LA PAROLE

 

 

9

LA NON ACCEPTATION DE L’AMOUR COMME UN DON, QUI CONDUIT L’AMOUR HUMAIN A SE REFERMER SUR LUI-MËME

 

 

6

DÉDOUBLEMENT DE SOI-MÊME OU L’ÊTRE HUMAIN N’EST PLUS QUE SA PROPRE IMAGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

DÉDOUBLEMENT DE LA PAROLE, QUI DÉTRUIT LA PAROLE ELLE-MÊME ET L’ALTÉRITÉ

·         La tentative d’entrer dans la parole échoue car l’individu ne fait que s’écouter lui-même

 

 

 

5

LA CONDAMNATION A UN AMOUR SANS CONSOMMATION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

DÉDOUBLEMENT DU CORPS, LE SIEN ET CELUI DE L’AUTRE, QUI EXCLUT  TOUT RAPPORT SEXUEL

 

 

 

 

 

 

 

Comme l’avait suggéré Tirésias, la solution, pour sortir du traumatisme, consiste à passer du regard à la parole.

 

Du traumatisme lié à une relation incestueuse,

à la destruction de la vie

 

1. Un inceste originel

 

2. Il est lié à une non reconnaissance de l’autre

 

3. On constate un dédoublement de la parole où l’individu ne fait que s’écouter soi-même : ce dédoublement de la parole détruit la parole, qui implique un rapport à l’autre, la sienne et celle de l’autre. Lorsqu’on détruit la parole, c’est la relation à l’autre qui est détruite

 

4. Dédoublement du corps, qui détruit le corps, le sien et celui de l’autre ; il n’aime que son corps y compris dans le corps de l’autre

 

5. Le rapport sexuel devient impossible, même dans une relation homosexuelle

 

6. Dédoublement de soi, où l’individu n’est plus que l’image de soi-même : il devient une âme sans corps

 

7. Dédoublement de l’être (amour), où il ne peut que s’aimer soi-même, c’est-à-dire aimer sa propre image :  en fait l’amour de soi lui-même est ici impossible

 

8. Finalement c’est la mort dans une forme progressive de suicide

 

9. L’amour qui se referme sur lui-même, entraînant l’effet d’une drogue, qui opère par dédoublement

 

10. La solution consiste à sortir du regard qui va se porter sur soi-même pour entrer dans la parole, qui oriente vers l’autre

 

11. Ce texte décrit par ailleurs les effets de la drogue : il peut donc aider à comprendre et peut-être à traiter ce problème

 

12. Il en va de même pour le suicide, comme effet possible d’un traumatisme originel ou, en tout cas, de dédoublements successifs, qui pourraient être traités par un passage de l’image à la parole

 

 

3. La proposition d’un modèle pour comprendre le fonctionnement humain

L’analyse nous renvoie à l’origine de l’inceste originel : l’amour qui ne se laisse pas creuser par le manque, pour être relié à une forme d’amour absolu qui le fonde et qui fonde le sujet lui-même. Elle procède par une remontée progressive vers ce qui manque fondamentalement au développement de l’être humain. Dès lors, il est possible d’inverser le cheminement pour faire apparaître la boussole qui va permettre à l’homme de se guider dans l’existence.

 

 

 

 

 

 

 

8

LA RELATION A L’AUTRE

ET

LE MANQUE INTERNE A L’AUTRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

LE CHOIX FONDAMENTAL A L’ORIGINE 

·         Reconnaître le manque interne à l’amour humain

·         Accepter le don qui le fonde et qui fonde toute l’existence

 

 

 

7

LA NAISSANCE DE LA PAROLE

ET

LE MANQUE QUI LA CONSTITUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

L’IMAGE DE SOI

ET

LE MANQUE QU’ELLE PORTE EN ELLE

 

 

9

LE SUJET

ET

LE MANQUE RADICAL QUI L’OUVRE A UNE FORME DE TRANSCENDANCE

 

 

6

L’INTEGRATION DE LA SEXUALITE

ET

LE MANQUE QU’ELLE NE PEUT COMBLER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

L’AMOUR DE SOI

ET

LE MANQUE QU’IL PORTE EN LUI

 

 

 

5

L’ACCEPTATION DU CORPS

ET

LE MANQUE INSCRIT EN LUI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

LA NON IDENTIFICATION A SA PROPRE IMAGE

ET

LE MANQUE INTERNE A L’INDIVIDU QUI S’UNIFIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De l’acceptation du don de l’amour a la constitution du sujet

 

1. L’acceptation fondamentale de l’amour comme un don

2. Cet amour renvoie à la bonne image de soi

3. L’image de soi a besoin d’être confortée par l’amour de soi, qui est une forme indispensable de narcissisme

4. Le narcissisme porte le danger d’enfermer l’individu dans sa propre image : il est nécessaire d’en sortir pour rejoindre la réalité

5. L’image de soi porte le manque du corps

6. L’individu est renvoyé à l’acceptation du corps

7. Le corps lui-même porte en lui une brèche

8. Cette brèche le renvoie à la sexualité

9. Comme le souligne la circoncision, la sexualité souffre d’un manque

10. Le manque de la sexualité ouvre l’espace de la parole

11. La parole cesse d’être parole si elle se referme sur elle-même

12. Elle porte en elle l’autre et donne naissance à l’altérité

13. La relation à l’autre souffre du manque de soi

14. Et le soi ne peut se constituer sans référence à une forme de transcendance, qui le fonde

 

 

4. L’inceste originel comme terme d’un cheminement

 

L’inceste originel est la résultante d’un cheminement, qui met en relief l’enchaînement des causes qui peuvent l’expliquer.

 

 

 

 

 

 

 

8

UNE RELATION A L’AUTRE QUI AVORTE SANS CESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

NON ACCEPTATION DU DON QUI  FONDE  L’AMOUR HUMAIN

 

 

 

7

UNE PAROLE QUI N’EST QUE REPETITION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

MAUVAISE IMAGE DE SOI

 

 

9

INCESTE « ORIGINEL » QUI S’ENFERME DANS LE MÊME ET OU L’AUTRE N’A PAS SA PLACE

 

 

6

L’IMPOSSIBLE DEVELOPPEMENT DE LA SEXUALITE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

IMPOSSIBLE AMOUR DE SOI

 

 

 

5

NON ACCEPTATION DE SON CORPS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

DÉDOUBLEMENT OU L’ÊTRE HUMAIN N’EST PLUS QUE SA PROPRE IMAGE

 

 

 

 

 

 

 

   

Le cheminement vers l’inceste « originel »

 

1. Non acceptation du don qui fonde l’amour humain

2. Développement d’une mauvaise image de soi

3. L’amour de soi est impossible

4.  L’individu s’enferme dans le dédoublement où il n’est plus que sa propre image

5. Le corps n’a pas sa place

6. La différence sexuelle semble annulée et toute relation sexuelle est problématique

7. La parole ne fait que se répéter

8. La relation à l’autre est illusoire

9. L’inceste lui-même est fondateur : il enferme toute relation à l’autre dans le même, ce qui provoque la violence et le viol

 

 

 

5. Les effets de l’inceste et du viol

 

L’inceste et le viol contribuent à détruire la femme ou l’homme à la racine. C’est l’acceptation fondamentale du don de l’amour qui est remise en cause.

 

 

 

 

 

 

 

 

8

UNE RELATION A L’AUTRE TRES DIFFICLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

LA BASE MÊME DE L’INDIVIDU RISQUE D’ÉCLATER

·         L’acceptation fondamentale du don de l’amour est remise en cause

 

 

 

7

LE CONFINEMENT AU MUTISME ET A UNE PAROLE QUI SE REPETE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

LE RISQUE DE TENTATIVES DE SUICIDE

 

 

9

LA DESTRUCTION DU SUJET ET LE RISQUE DE REPETER L’INCESTE OU LE VIOL SUR D’AUTRES

·         L’inceste ou le viol peut contribuer à fabriquer de nouveaux êtres incestueux ou violeurs

 

 

6

DES RELATIONS SEXUELLES TRES PROBLEMATIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

LA HAINE DE SOI ET LA HAINE DE L’AUTRE, ET L’ENFERMEMENT DANS LA CULPABILITE

 

 

 

5

SON PROPRE CORPS ET LE CORPS DE L’AUTRE REJETES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

L’ENFERMEMENT DANS L’IMAGE, QUI SEULE PEUT RASSURER

 

 

 

 

 

 

 

L’inceste ou le viol qui contribuent à détruire le sujet

 

1. L’inceste et le viol s’attaquent à la racine de l’individu

2. L’acceptation fondamentale du don de l’amour est remise en cause

3. L’image de soi se dégrade

4. L’individu peut essayer d’attenter à sa vie pour se débarrasser de sa mauvaise image

5. Il finit par développer une haine de soi et une haine de l’autre

6. Il s’enferme dans la culpabilité

7. Il s’opère un dédoublement avec identification à sa propre image

8. Le risque est un enfermement dans l’image et un retrait de la réalité car seule l’image peut rassurer

9. Il y a rejet de son corps et du corps de l’autre

10. Les relations sexuelles sont problématiques

11. La parole est perturbée et ne procède que par répétition

12. Il peut y avoir aussi mutisme

13. La relation à l’autre est très difficile

14. Le sujet se détruit

15. L’individu peut en arriver à répéter l’inceste ou le viol qu’il a subi

 

Il serait dangereux de penser qu’il y a fatalité : tout n’est pas perdu loin de là. Mais l’intervention d’un tiers (souvent un thérapeute) est nécessaire pour aider à retrouver le lien avec le don fondamental de l’amour qui constitue le sujet et rendre possible à nouveau l’amour de soi et l’amour de l’autre, à travers une renaissance de la parole …

 

 

 

6. Interrogations sur la drogue

 

Avec le narcisse dont la racine évoque l’engourdissement mortifère, le mythe semble faire référence à la drogue, dont l’usage serait abusif. On assisterait à une destruction progressive du sujet.

 

 

 

 

 

 

 

8

DES RELATIONS A L’AUTRE TRES PERTURBEES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

REJET DU MANQUE ET DONC IMPOSSIBILITE  DE S’OUVRIR AU DON DE L’AMOUR FONDATEUR

 

 

 

7

DÉDOUBLEMENT DE LA PAROLE OU L’INDIVIDU NE FAIT QUE REPETER ET S’ECOUTER SOI-MËME

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

PROGRESSIVE DESTRUCTION DE SOI

 

 

9

LA DESTRUCTION DU SUJET QUI EST PETIT A PETIT REJETE DANS L’INCONSISTANCE

 

 

6

DÉDOUBLEMENT DE LA SEXUALITÉ, QUI REND LES RELATIONS SEXUELLES ET AFFECTIVES TRES PROBLEMATIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

SURVALORISATION SUIVIE DE DEVALORISATION DE SOI

 

 

 

5

DESINVESTISSEMENT DU CORPS ET SORTIE DE LA REALITE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

DÉDOUBLEMENT DE SOI OU LE SOI N’EST QUE LA REPRESENTATION DE SOI

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Du rejet du manque a l’inconsistance du sujet

 

1. Rejet du manque avec impossibilité de s’ouvrir au don de l’amour fondateur

2. Difficulté à se détacher de la mère, et, pour l’homme, tendance à considérer sa partenaire comme une mère

3. Passage de l’apaisement du manque à une sensation excessive de ce manque

4. L’individu s’engage dans une progressive destruction de soi

5. Alternance entre la survalorisation et la dévalorisation de soi

6. Refuge dans la représentation de soi

7. Désinvestissement du corps et désinvestissement de la réalité

8. Dédoublement de la sexualité avec des relations sexuelles très difficiles

9. L’individu s’écoute parler sans écouter l’autre ; il est toujours dans la répétition

10. La parole ne porte pas l’autre : les relations à l’autre s’effilochent

11. Le sujet finit par perdre toute consistance.

 

Là encore, il serait dangereux de croire qu’il existe une fatalité. Le tiers est nécessaire pour aider l’individu à accepter le manque fondamental, qui constitue l’être humain et à réinvestir son corps et la réalité. Peu à peu la parole peut retrouver sa place et porter la place de l’autre …

 

En conclusion, une interrogation sur les risques d’une société de la consommation

 

La drogue pourrait être une métaphore de la société de consommation, qui elle aussi vise à combler le manque fondamental de l’homme sans se rendre compte qu’il serait dangereux de revenir au paradis perdu, où tout manque serait aboli. En voulant combler le manque fondamental de l’homme, cette société, dans ses excès, aplatit la réalité en la déréalisant et en instituant le règne de la marchandise, et empêche le sujet de se constituer pour accomplir son destin. La mort, qui est le manque fondamental, est esquivée et n’est plus socialement acceptée. Ce rejet finit par enfermer les individus dans une existence sans piment et dans une vieillesse abusivement prolongée et peu à peu déshumanisée.

 

Narcisse, Les Métamorphoses d’Ovide

 

Traduction française en vers libres de Danièle Robert:

Tandis que la loi du destin s'accomplissait de la sorte sur terre
Et que le berceau du petit Bacchus, né deux fois, était en sûreté,
Jupiter que le nectar, nous dit-on, avait un jour détendu,
Mit de côté les occupations sérieuses pour se distraire
Avec Junon et badiner en toute quiétude: «Je parie
Que votre plaisir est plus grand que celui qu'éprouvent
Les mâles », affirma-t-il. Elle n'était pas d'accord. Ils résolurent
De demander l'avis du sage Tirésias. Celui-ci connaissait le plaisir
Des deux sexes car après avoir profané d'un coup de bâton,
Dans une forêt verdoyante, le coït de deux grands serpents,
Il avait été changé (stupeur!) d'homme en femme
Durant sept automnes ; au huitième, les ayant revus,
Il avait dit: « Puisqu'un coup reçu vous donne le pouvoir
De changer le sexe de son auteur, je vais vous frapper
A nouveau. » Les deux serpents frappés, il avait repris
Sa forme première et son aspect naturel.
Donc, choisi comme arbitre dans cette querelle pour rire,
Il donna raison à Jupiter. La fille de Saturne, dit-on,
Le prit beaucoup plus mal que la chose n'en valait la peine
Et condamna les yeux de son juge à la nuit éternelle.
.Mais le père tout-puissant (aucun dieu n'a le droit, en effet, d'annuler
Les décisions d'un autre dieu) lui donna, pour pallier sa cécité, la prescience
De l'avenir et adoucit sa peine en lui témoignant son estime.

Partout célébré dans les villes de l'Aonie,
Tirésias donnait à ses visiteurs d'infaillibles réponses.
La première à le consulter et à vérifier la justesse
De sa parole fut Liriopé l'Azuréenne que jadis le Céphise
Avait enveloppée dans ses méandres et emprisonnée dans ses eaux
Puis violée. Enceinte, cette beauté avait donné naissance
A un enfant qui ne pouvait que susciter l'amour des nymphes,
Et l'avait appelé Narcisse. Interrogé sur l'espérance qu'il avait
D'une longue vieillesse, le devin répondit: « S'il ne se connaît pas. »
Longtemps, cette parole prophétique parut sans fondement ;
Ce qui atteste sa véracité, ce sont les circonstances
De la fin de Narcisse, la nature de sa mort, l'étrangeté de sa folie.
A l'âge de seize ans, en effet, le fils du Céphalée
Pouvait être pris à la fois pour un enfant et un jeune homme ;
Beaucoup de jeunes gens, beaucoup de jeunes filles le désiraient.
Mais sa beauté naissante s'accompagnait d'une fierté cruelle :
Ni jeunes gens ni jeunes filles ne pouvaient l'approcher.
Celle qui l'aperçut, poussant vers ses filets des cerfs affolés,
Fut la nymphe loquace, qui ne sait ni se taire quand on parle
Ni parler la première : Echo qui répète les sons.
Echo avait un corps à l'époque - n'était pas qu'une voix -
Mais n'avait déjà plus, la bavarde, l'usage de sa bouche,
Et ne pouvait que répéter les tout derniers mots d'une phrase,
Comme aujourd'hui. Junon en avait ainsi décidé car, voulant surprendre,
Dans la montagne, les nymphes couchées avec son Jupiter,
La déesse était retenue par les histoires interminables de la maligne
Qui aidait les nymphes à fuir. S'en étant aperçue, la fille de Saturne
Lui avait dit: « Le pouvoir de cette langue qui m'a abusée
Sera diminué et ta parole réduite à sa plus simple expression. »
Aussitôt dit, aussitôt fait : Écho répète désormais
Les dernières syllabes des mots qu'elle entend prononcer.
Donc, à peine a-t-elle vu Narcisse, circulant seul dans la campagne,
Qu'elle s'enflamme et suit ses pas à la dérobée.
Plus elle le suit, plus son ardeur se fait pressante:
Le soufre dont on enduit le bout des torches
N'est pas plus prompt à prendre feu.
Oh ! Que de fois a-t-elle voulu l'aborder avec des mots d'amour,
User de tendres prières ! Sa nature s'y oppose
Et l'empêche de commencer; mais elle est prête - et cela est permis -
A attendre les sons auxquels elle renverra ses paroles.

Le jeune homme, s'étant par inadvertance séparé du groupe
De ses fidèles amis, s'est écrié: « Y a-t-il quelqu'un? »
« Quelqu'un », répond Echo. Stupéfait, jetant les yeux de tous côtés,
Il crie d'une voix forte : « Viens! » Elle lui renvoie son appel.
Il se retourne et, ne voyant arriver personne, reprend: « Pourquoi
Me fuis-tu ? », et les mots qu'il a prononcés lui reviennent.
Il insiste et, trompé par cette voix qui imite la sienne, dit:
"Par ici, rejoignons-nous ", et aucun son ne saurait être repris
Avec plus de plaisir : "Joignons-nous!" répète Echo.
Et, ravie de ses propres paroles, elle est sortie de la forêt,
Pensant jeter les bras autour de ce cou tant espéré.
Il prend la fuite et, en fuyant, lui crie: « Cesse de m'enlacer !
Plutôt mourir que te laisser disposer de moi ! »
Elle ne peut répondre que: « Te laisser disposer de moi !"
Repoussée, elle se cache dans les forêts, abrite sous le feuillage
Son visage couvert de honte et vit depuis dans la solitude des grottes.
Mais, délaissée, son amour s'obstine et la douleur l'accroît
Et son pauvre corps s'épuise en tourments sans trêve ;
Sa maigreur lui ride la peau ; toute la sève de son corps s'évapore ;
Ne restent que la voix et les os : la voix est intacte ; les os
Ont pris, dit-on, l'aspect de la pierre. Elle est, depuis, cachée
Dans les forêts et on ne la voit plus dans la montagne ;
Mais tout le monde l'entend : un son est là, qui vit en elle.
Comme de celle-ci, Narcisse s'était auparavant joué d'autres nymphes
Issues des eaux ou des montagnes, ainsi que de garçons.
L'un de ces méprisés, tendant ses mains vers le ciel,
Avait dit: « Puisse-t-il aimer lui aussi et ne pas posséder
L'objet de son amour! » La déesse de Rhamnonte agréa cette juste prière.
Il était une source limpide, source d'argent aux eaux miroitantes,
Que ni pâtres ni chevrettes paissant dans la montagne
Ni aucun autre bétail n'avaient approchée; que nul oiseau,
Nulle bête sauvage, nulle branche tombée d'un arbre n'avait troublée.
Autour d'elle, de l'herbe, nourrie par l'humidité toute proche,
Et un bosquet pour empêcher les rayons du soleil d'attiédir ce point d'eau.
Le jeune homme, épuisé de chaleur et d'ardeur à la chasse,
Fut séduit par la source, son cadre, et s'y pencha ;
Tandis qu'il essayait d'étancher sa soif, une autre soif grandit en lui.
Pendant qu'il boit, fasciné par le reflet de sa propre beauté,
Il s'éprend de cet être sans corps, confond le corps avec son ombre.
Ebloui, paralysé devant ce visage si semblable au sien, il reste
Pétrifié, une statue sculptée dans le marbre de Paros.
Rivé au sol, il contemple son double, ses yeux, son éclat,
Et ses cheveux dignes de ceux de Bacchus, ou encore d'Apollon,
Et ses pommettes juvéniles, son cou d'ivoire, le dessin parfait
De sa bouche, cette blancheur de neige et ce rouge mêlés,
Et il admire tout ce qui en lui est admirable.
Inconsciemment, il se désire, est à la fois sujet et objet de sa quête,
Le chasseur et la proie, l'incendiaire et le feu.
Que de baisers sans réponse a-t-il donnés à la source trompeuse !
Que de fois a-t-il plongé les bras au milieu des eaux
Pour y saisir le reflet de son cou sans parvenir à l'atteindre !
Que voit-il ? Il ne sait; mais ce qu'il voit le brûle,
Et l'erreur qui abuse ses yeux les excite pareillement.
Naïf, pourquoi chercher en vain à saisir une image fugace ?
Ce que tu cherches n'existe pas ; ce que tu aimes, tourne-toi, tu le perds.
L'ombre que tu distingues est celle d'un pur reflet.
Elle est sans consistance, est apparue avec toi et demeure de même ;
Elle s'éloignera avec toi - s'il t'est possible de t'éloigner.
Ni les exigences de la faim ni celles du sommeil ne peuvent
Le tirer de là ; couché dans l'herbe épaisse, il fixe d'un regard
Insatiable ce leurre, et son regard le tue ; se soulevant un peu,
Tendant les bras vers les bois qui l'entourent, il leur dit:
« Quelqu'un a-t-il souffert, ô forêts, plus que moi en amour ?
Vous le savez, bien sûr, et vous avez été pour beaucoup
Un abri opportun. Vous dont la vie compte tant de siècles,
Vous souvenez-vous de quelqu'un qui, durant tout ce temps,
Se soit consumé à ce point ? Il me plaît et je le vois,
Mais ce que je vois, qui me plaît, je ne peux le rejoindre ;
Dans quel égarement est maintenu un amoureux !
Et, comble de douleur, il n'y a pour nous séparer ni mer immense,
Ni route, ni montagnes, ni murailles aux portes fermées :
L'obstacle n'est qu'un peu d'eau. Il me désire lui aussi
Car, chaque fois que je tends mes lèvres vers l'eau claire,
Sa bouche offerte s'efforce de m'atteindre.
Nous devons pouvoir nous toucher : rien n'arrête ceux qui s'aiment.
Qui que tu sois, sors de ce lieu ; pourquoi me décevoir, ô merveille ?
Je viens vers toi, où t'en vas-tu ? Ni mon aspect ni mon âge
Ne sauraient, certes, te faire fuir : même des nymphes m'ont aimé.
Quel espoir me promet ton visage ami, je l'ignore ?
Et quand je tends les bras vers toi, tu tends les tiens,
Et quand je souris, tu souris et lorsque j'ai pleuré j'ai souvent remarqué
Que tu pleurais ; tu réponds à mes signes d'un mouvement de tête
Et, si j'en juge par les frémissements de ta bouche si belle,
Tu me renvoies des mots qui ne parviennent pas à mes oreilles.
C'est moi qui suis toi, je le devine ; et mon image ne me leurre point.
Je brûle de l'amour de moi, déclencheur de ce feu et foyer à la fois.
Que faire ? Attendre les questions, les formuler? Et qu'ajouter de plus ?
Ce que je désire est inséparable de moi, une richesse qui crée le manque.
Ah ! si je pouvais me séparer de mon corps!
Vouloir l'absence de ce qu'on aime, voeu étrange pour un amant !
La douleur m'ôte déjà des forces, et il me reste peu de temps
A vivre ; je m'éteins dans la fleur de l'âge.
La mort m'est légère qui me délivrera de mes souffrances.
Celui que j'aime, j'eusse voulu qu'il vécût plus longtemps ;
Mais nous allons mourir, deux coeurs dans un même souffle.
Sur ces mots, ce fou revint vers son image,
Troubla l'eau de ses larmes et l'agitation du bassin
En rendit les traits incertains ; la voyant disparaître:
« Où fuis-tu ? Reste, cruel, n'abandonne pas
Ton amant, cria-t-il, que je puisse au moins regarder
Ce que je ne puis toucher, et nourrir ma passion malheureuse. »
Tout en pleurant, il tira sur l'extrémité de sa tunique
Et de ses mains marmoréennes frappa sa poitrine nue.
Sa poitrine frappée se colora d'une rougeur vermeille
Tout comme les arbres fruitiers à demi blancs que l'on voit
Devenir rouges, ou le raisin à demi mûr dont les grappes
Aux tons changeants prennent une teinte pourpre.
Lorsqu'il la vit ainsi dans la limpidité de l'eau retrouvée,
Il ne peut en supporter davantage : comme fondent la cire blonde
Sous la flamme légère ainsi que les gelées matinales
Aux tièdes rayons du soleil, lui, exténué d'amour,
Se dilue, un feu secret lentement le consume.
Il n'a déjà plus ce teint où blancheur et rougeur se mêlaient,
Ni éclat, ni force, ni cet aspect qui naguère plaisait,
Et il ne reste rien du corps jadis aimé par Echo.
Lorsqu'elle le revit, malgré le souvenir et la colère,
Elle fut affligée et à chaque " Hélas! » du malheureux enfant
Sa voix vibrante lui répondait : « Hélas! »,
Et, chaque fois qu'il se meurtrissait les bras,
Elle reproduisait le bruit des coups.
Sa dernière parole, les yeux fixés sur l'onde familière,
Fut : « Hélas! Enfant que j'aime vainement! », et le lieu
La reprit mot pour mot ; à son " Adieu! », Echo redit : « Adieu! »
Epuisé, il laissa tomber sa tête sur l'herbe verte ;
La mort ferma ses yeux éblouis par l'éclat de leur maître.
Et même après qu'il eut été reçu au séjour des Enfers,
Il se contemplait dans l'eau du Styx. Ses soeurs les Naïades
Pleurèrent et offrirent leurs cheveux coupés à leur frère ;
Pleurèrent les Dryades ; Echo se joignit à leurs lamentations.
Déjà, on préparait le bûcher, le lit et les torches funèbres:
Le corps n'était plus là. A la place du corps on trouva
Une fleur au coeur jaune safran entouré de pétales blancs.

http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/actualites/nouvelles.cfm?num=63

 

Note sur le stade du miroir chez Lacan et Dolto

 

Distinctions entre les théories de LACAN et de DOLTO

 

·         Chez LACAN, le miroir est une surface plane qui réfléchit visuellement. L'image du "stade du miroir" est ainsi un mirage de totalité et de maturation face au réel dispersé et immature que l'enfant perçoit de son corps. C'est donc une expérience première et inaugurale dans un réel dispersé et morcelé. LACAN oppose le corps morcelé du bébé à cette image globale à laquelle il doit se confronter. C'est un commencement dans sa maturation psychologique. De cet impact naîtra une "jubilation" due à l'appropriation de cette image de son corps, total et aimé de la Mère. Le stade du miroir a une valeur décisive.

 

·         Chez DOLTO par contre, le miroir est une surface réfléchissante de toute forme sensible, visible comme psychique. Ce qui importe alors, c'est la fonction relationnelle réfléchie par l'image du miroir. La surface plane du miroir est relativisée, ce n'est qu'un instrument parmi d'autres pour individualiser le corps, l'image inconsciente du corps mais aussi le visage, et découvrir la différence (Moi/Autre, différence des sexes...). L'enfant n'est pas dans un réel dispersé et morcelé mais déjà cohésif et continu. L'opposition n'est plus dans un face à face mais bien plutôt entre deux images différentes: l'image visuelle vue par l'enfant et l'image inconsciente qu'il a de son corps (accès au dossier "conscient inconscient"). Le stade du miroir ne marque plus un commencement mais confirme une "individuation narcissique primaire". Et l'impact produit chez l'enfant n'est alors plus jubilatoire mais s'apparente bien à une épreuve douloureuse de castration. En effet, l'enfant fait le constat qu'il existe un grand écart entre son image et lui. Il n'est pas cette image que lui renvoie le miroir et devant laquelle s'extasie sa Mère. Il ne se réduit pas à cela, et c'est une véritable épreuve qu'il doit franchir.

 

http://psychiatriinfirmiere.free.fr/infirmiere/formation/psychologie/psychologie/stade-miroir.htm

 

 

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