Le serpent d'airain




La nécessaire intégration de la violence pour faire exister la parole

Moïse et le serpent d'airain (application au Christ)

http://catholique-rouen.cef.fr/spip.php?article1431

Dans leur marche vers la Terre promise, les Hébreux subissent des épreuves de toute nature : la faim, la soif, les attaques de peuples méfiants. La foi s'effrite et la révolte est toujours à la porte. Les marcheurs sont maintenant près de la Mer rouge, à proximité du golfe d'Aqaba. Pour comble de malheur, Aaron vient de mourir. Moïse se sent seul et il se demande comment il va pouvoir résister à la fronde qui semble se préparer.

Le serpent d'airain

Les hébreux partirent de Hor-la-Montagne pour la route de la mer de Suph,
Pour contourner le pays d'Edom.
En chemin, le peuple perdit patience.
Il parla contre Dieu et contre Moïse :
" Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte, pour mourir en ce désert ?
Car il n'y a ni pain ni eau :
Nous sommes excédés de cette nourriture de famine. "

Dieu envoie alors contre le peuple des serpents brûlants,
Dont la morsure fit périr beaucoup de monde en Israël.
Le peuple vint dire à Moïse :
" Nous avons péché en parlant contre Yahvé et contre toi.
Intercède auprès de Yahvé
Pour qu'il éloigne de nous ces serpents. "

Moïse intercéda pour le peuple et Yahvé lui répondit :
" Façonne-toi un Brûlant que tu placeras sur un étendard.
Quiconque aura été mordu et le regardera
Restera en vie. "
Moïse façonna donc un serpent d'airain qu'il plaça sur l'étendard,
Et si un homme était mordu par quelque serpent,
Il regardait le serpent d'airain et restait en vie.
(Bible de Jérusalem, Les Nombres XXI - 4 à 9)

La structure du récit

Serpent d'airain, Guiard des Moulins, Bible du XIVè siècle

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2000/clb_001124.htm

 

La structure du récit


1. Les Hébreux lèvent le camp
Ils veulent contourner le pays d'Edom

2. Ils perdent patience
Ils manquent d'eau et nourriture

3. Ils parlent contre Dieu et Moïse
Ils regrettent leur départ d'Égypte : ils vont mourir de faim et de soif dans le désert.

4. Dieu envoie contre le peuple des serpents brûlants
Ces serpents infiltrés dans le sable font mourir beaucoup de monde

5. Les Hébreux se repentent et demandent à Moïse d'intervenir
Il doit intercéder auprès de Yahvé pour éloigner les serpents

6. Moïse intercède auprès de Yahvé
Yahvé va répondre

7. Façonne-toi un brûlant que tu placeras sur un étendard
Quiconque aura été mordu et le regardera restera en vie

8. Moïse façonne un serpent d'airain
Il le place sur un étendard

9. Les hommes mordus par un reptile regardent le serpent d'airain
Ils restent en vie

Le texte tout entier est organisé autour des serpents brûlants et de la solution étonnante, proposée par Yahvé, pour échapper à la mort. Il faut représenter l'animal sur un étendard et le regarder, en cas de morsure. Il se trouve que cette solution est parfaitement efficace. La question qui se pose est de savoir s'il faut prendre le texte à la lettre. Nous prenons parti de l'interpréter, à partir des images.

L'éclairage du texte par les images

Violence dans les écoles

http://www.wagtoons.com/f/l.htm

 

L'éclairage du texte par les images

1. L'impatience des Hébreux
Une souffrance qui dure et qui va jusqu'à l'excès

2. Une nourriture de famine qui excède
Il n'y a ni pain ni eau

3. Les serpents brûlants
Le lien avec la colère pourrait évoquer une mutinerie : les Hébreux se comportent entre eux comme des serpents brûlants

4. La morsure des serpents qui fait mourir
La mutinerie provoque de nombreux morts

5. Les Hébreux qui sont très inquiets
La mutinerie les dépasse : ils ne savent comment l'arrêter

6. La reconnaissance de leur impuissance
Ils lâchent prise et s'en remettent à un Autre par l'intercession de Moïse

7. Le brûlant sur un étendard
C'est la représentation de la violence

8. Le serpent d'airain
Allié au serpent, l'airain semble signifier la forme particulière de violence dont il s'agit : l'airain est très dur et, en même temps, il résonne très fort, renvoyant en écho les coups qu'il reçoit. Nous sommes en face d'une violence mimétique.

L'interprétation du serpent d'airain par la violence mimétique introduit une plus grande cohérence à l'intérieur du texte et nous fait passer de la magie, courante à cette époque, notamment pour les serpents du désert, à une opération psychologique et spirituelle très élaborée.

La signalétique ou les paroles du texte

Médiateur - Il sapere ha forme nuove

http://espace.pictor.9business.fr/pagepersobonnarel.htm

La signalétique ou les paroles du texte

1. Le peuple parle contre Dieu et contre Moïse
Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Égypte, pour mourir en ce désert ? Car il n'y a ni pain ni eau : nous sommes excédés de cette nourriture de famine.

2. Les Hébreux qui se sentent coupables
Nous avons péché en parlant contre Yahvé et contre toi. Intercède auprès de Yahvé pour qu'il éloigne de nous ces serpents.

3. Yahvé qui répond à l'intercession de Moïse
Façonne-toi un brûlant que tu placeras sur un étendard. Quiconque aura été mordu et le regardera, restera en vie.

Les paroles mettent face à face le peuple et Yahvé, car Moïse n'est ici qu'un intermédiaire. La rébellion qui s'exprime est donc d'abord une rébellion contre Dieu. Et la solution proposée pour écarter la violence mimétique est reçue comme venant de Yahvé lui-même. Aussi, ce qui semble en jeu c'est l'acceptation ou non de Dieu comme tiers. Si ce tiers est écarté, c'est la mésentente qui se manifeste. S'il est remis à sa place, la foi rétablie donnera toute son efficacité spirituelle à la mesure proposée.

La nécessaire intégration de la violence
pour faire exister la parole

Mosaïque ancienne du Mont Nébo

http://perso.infonie.be/parcours/jordan4.html

 

La nécessaire intégration de la violence pour faire exister la parole

Il va de soi que la violence livrée à elle-même est dangereuse et peut être meurtrière. Que faut-il faire pour qu'elle devienne une force positive ? C'est ce thème que cherche à traiter le mythe du serpent d'airain. Nous pouvons prendre le récit comme une histoire pleine de difficultés et pourtant merveilleuse. Yahvé interviendrait comme un être supérieur rempli d'astuces pour faire face aux mille pièges que réserve une épopée en plein désert. Ce serait discréditer le mythe lui-même et nous priver des enseignements qu'il cherche à nous transmettre. Sans doute la voie que nous suivrons n'est pas la seule possible. Elle est un cheminement parmi d'autres et laisse le champ libre pour d'autres interprétations.

Face à la violence, les deux textes précédents, Le sacrifice d'Abraham et Le buisson ardent nous ont livré une clef : la transmutation positive de cette force apparemment négative passe par un retour sur soi. Si, dans un premier temps, l'homme cherche à exercer sa violence en agressant l'autre jusqu'à l'éliminer, il doit finir par comprendre que c'est d'abord lui-même et sa toute-puissance qu'il doit sacrifier pour trouver la juste solution. Et ainsi, fréquemment, il pourra faire une place à celui qui paraît briser son élan de vie, et trouver, sans peine, sa propre place. Ici, le phénomène de violence est plus complexe : il concerne tout un groupe menacé par la confusion.

Une mise en route contrariée

La marche des Hébreux se fait par étapes, avec des avancées et des périodes de repos. Pour le moment, ils ont eu plusieurs jours de repos et ont pris du temps pour faire leurs adieux à Aaron, le frère de Moïse, un personnage important. Ils sont allés, pour cet événement, au sommet de la montagne de Hor. Moïse, alors, enleva ses vêtements à Aaron, qui était en train de mourir, et en revêtit son fils Eléazar, redistribuant ainsi les rôles du groupe pour qu'il puisse fonctionner normalement.

Maintenant, ils partent en direction du golfe d'Aqaba. Moïse avait pensé prendre une route plus directe en traversant le pays d'Edom. Il avait donc pris soin d'envoyer des messagers à Edom, lorsqu'il était encore à Cadès, pour lui demander son autorisation. Le prince n'a rien voulu savoir. Il marcha même contre les Hébreux " en grand nombre et en grande force ". Moïse n'insista pas. Aujourd'hui, un tel refus complique l'avancée des Israélites puisqu'il faut contourner le pays d'Edom et s'exposer à ne pas trouver l'eau et la nourriture nécessaires sur leur passage.

L'impatience du peuple qui ne mange pas à sa faim

Ce que l'on craignait arrive maintenant. Au bout de quelques jours, le peuple est complètement affamé et assoiffé et ne voit pas d'issue prévisible à une telle situation. Les femmes, les hommes et les enfants se mettent à gémir. Si la disette dure trop longtemps, les forces vont fléchir. La colère se répand comme une poignée de poudre. Il faut faire quelque chose. Quelques hommes, habitués aux contacts avec leur guide, viennent voir Moïse hors d'eux-mêmes et l'interpellent avec vigueur. Il est facile d'imaginer leurs paroles que suggère en partie le texte : " Pourquoi nous as-tu fait monter d'Égypte si c'est pour mourir dans ce désert ? Nos femmes, nos enfants et nos vieillards dépérissent et même les plus valeureux perdent courage. Nous ne pouvons plus nous contenter d'une nourriture de famine ! " Moïse les regarde longuement. Il n'a pas de réponse à leur fournir. Le texte ne dit rien de ses réactions. Parfois, il s'interroge sur le plan de Yahvé et a de la peine à chasser le doute qui envahit son esprit. Mais, comme toujours, un sursaut vient réveiller son vieux corps fatigué : " Ne vous découragez pas, Dieu viendra à notre secours ".

De la destruction de la parole à la violence mimétique

Le peuple n'est pas satisfait par les réponses de leur guide, qui restent beaucoup trop évasives. Les Hébreux voudraient un chef militaire : ils n'ont qu'un vieillard hésitant. Alors, ils s'interrogent. Il y a ceux qui sont pour Moïse et ceux qui s'affirment contre lui. La parole perd de son effet et la confusion s'installe. Des bagarres fratricides prennent le relais. Le rédacteur suggère ce qui se passe. Il parle de nombreux morts mais les attribue aux serpents brûlants du désert. Comme nous l'avons déjà évoqué, nous pensons qu'il utilise une image pour signifier les mutineries qui sont en train de se développer. Il voit bien qu'il y a un lien entre la situation explosive que provoque la faim et ce qui se passe en ce moment. Les hommes agissent entre eux comme des serpents venimeux. Puisque la parole s'est évanouie sous l'effet de la confusion, plus personne n'arrive à contrôler le désordre meurtrier. Chacun imite l'autre dans ses débordements à tel point que la violence est devenue mimétique. Et les uns et les autres contatent sans peine que le peuple est en proie à une grave maladie qu'il faut enrayer.

Le retour sur soi et la parole renaissante

Il y a chez quelques-uns un retour sur soi. Ils pensent que la maladie sociale auxquels ils ont à faire face leur est en grande partie imputable. Alors l'ancienne délégation se remet en marche vers la tente de Moïse pour redonner force à la parole. Il est facile de reconstituer leur discours à partir des bribes qui nous sont laissées : " Ne vois-tu pas ce qui se passe ? Un mal inconnu, jusqu'ici, est en train de frapper notre communauté. Les hommes, les femmes, les enfants ne se supportent plus. Les disputes se multiplient et nous n'arrivons plus à enterrer nos morts. Nous pensons maintenant que la responsabilité d'un tel malheur nous incombe parce que nous avons parlé contre toi et contre notre Dieu. " La délégation vient de faire un juste diagnostic. Ce qui est en cause, c'est le manque de confiance en Moïse et, au-delà, le manque de foi en Yahvé. Les Hébreux ont ainsi détruit les tiers qui assuraient au groupe sa cohésion. Alors, il est indispensable de redonner à Dieu sa place. Moïse doit intercéder Yahvé pour le peuple.

Moïse à nouveau médiateur et la compassion de Yahvé

Moïse reste perplexe, mais il sait maintenant qu'il est rétabli dans son rôle de médiateur. Il demande un temps de réflexion. Aussitôt, il se met en prière, car son esprit ne peut être éclairé sans la présence de Dieu. Le rédacteur, comme on l'a déjà souligné à propos d'autres textes, fait intervenir Yahvé comme s'il s'agissait d'un homme, qui vient exprimer en clair les réponses au problème posé. En fait, la réalité est plus complexe : c'est Moïse lui-même qui trouve la solution sous l'inspiration de Celui qu'il invoque. Lorsque la solution est trouvée, le guide des Hébreux sait que Dieu a réellement exprimé sa compassion. Mais au fait, quel est le problème posé ? Dans l'immédiat il s'agit tout simplement de stopper le phénomène de violence mimétique. En réalité, la réponse trouvée va nous renvoyer aux sources de la psychologie et de la spiritualité et débordera très largement le problème exposé au départ.

La violence représentée

Moïse repense aux plaques de cuivre, où est gravée l'effigie d'un serpent brûlant, que des artisans locaux ont confectionné pour protéger les habitants contre les morsures de l'animal. Il sait qu'il s'agit de pratiques magiques mais, souvent les pratiques magiques ne sont pas sans fondements humains. Très vite, éclairé de l'intérieur, il fait le lien entre les serpents du désert et la violence incontrôlée des Hébreux que personne ne peut arrêter. Cette violence pourrait être représentée sur un grand étendard par un serpent d'airain. Depuis quelque temps déjà, les Hébreux ont appris à fondre le cuivre que leur fournissent des mines toutes proches. Et ils savent aussi les mélanger avec d'autres métaux pour obtenir cet alliage très dur que l'on appelle l'airain. Comme la violence de l'homme (cf. plus haut), l'airain fait preuve d'une très grande dureté : comme la violence mimétique, il renvoie en écho, en les démultipliant, les coups qu'il reçoit. Dans une intuition fulgurante, sous l'inspiration divine, Moïse a compris que la combinaison du serpent et de l'airain était propre à représenter avec force la violence que l'homme ne maîtrisait plus. En la regardant en face, chacun allait pouvoir la réintégrer en lui et la rendre ainsi inoffensive. Ce qui était magique lorsque l'individu voulait se prémunir contre la morsure mortelle des serpents, allait, par une transmutation symbolique, rétablir l'équilibre humain de l'Hébreu perturbé, en remettant la violence à sa place.

Le texte dit que Moïse façonne lui-même le serpent d'airain. C'est une manière de signifier que l'acte créateur vient de lui et non de l'artisan qui modèle la sculpture selon ses propres ordres.

La vie de relation reprend grâce à l'intégration de la violence

Tout se passe comme Moïse l'a prévu : " Si un homme était mordu par quelque serpent, il regardait le serpent d'airain et restait en vie ". Autrement dit, il était libéré de son impulsion violente et pouvait reprendre une vie sociale normale, régulée par la parole. C'est donc cette découverte profondément humaine qui a permis au peuple hébreu d'enrayer la violence mimétique, qui menaçait la communauté. Elle continue aujourd'hui encore à nous révéler que chacun doit intégrer sa propre violence sous peine de mort. Dans la structure symbolique, qui permet à l'homme d'être lui-même, la violence, par la force de séparation qu'elle représente, donne toute sa place à l'altérité et se trouve ainsi au fondement de la parole. La parole est fondamentalement rapport à l'autre.

Le Christ cosmique

http://instructional1.calstatela.edu/bevans/Art454L-12-Tecamachalco/F00002.html

 

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