Méthode d'analyse des mythes et des contes

( élaborée par Etienne Duval, 2000-2001)



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Calendrier aztèque

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Je voudrais rendre compte ici de la lente découverte d'un modèle pour l'interprétation des contes et des mythes. J'ai pu en vérifier la pertinence pour plus d'une centaine de textes, notamment, à l'intérieur d'un groupe de la parole et d'un café philosophique. A ma grande surprise, je me suis aperçu qu'il fonctionnait aussi pour comprendre les cheminements d'un individu et l'évolution d'un groupe et d'une entreprise. En fait, cette constatation n'est pas étonnante, car le conte et le mythe nous livrent la structure profonde de la vie elle-même, sous ses différents aspects.

En un premier temps, nous verrons le modèle. Nous vérifierons ensuite sa pertinence, en analysant deux textes : le conte africain, Le nom, et un texte biblique à forme mythique, Le jugement de Salomon. En un dernier moment, nous apprendrons à jouer avec le modèle.

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I. Le Modèle


La lente découverte du modèle


Pour moi la logique du discours et plus encore la logique d'interprétation est intimement liée à l'expérience continue de la vie. Comme beaucoup, j'ai commencé par une logique binaire, qui procède par différence : le blanc est différent du noir, la courbe est différente de la ligne brisée. Il m'appartient alors de rechercher ce qui fait différence. Depuis tout enfant, je sais différencier un frère d'un autre frère, la maison de mon père et celle de mon oncle. Mon esprit s'habitue à la comparaison.

Progressivement cependant, les aléas des études me familiarisent avec la dialectique marxiste, qui essaie de comprendre le mouvement de l'histoire. L'accent est mis sur la contradiction plus que sur la différence et un troisième terme apparaît avec la synthèse ou la conciliation. En dépit de ses applications pratiques, cette logique ternaire m'apparaît un peu mécanique.

Elle reprend vie cependant le jour où je fais un voyage en Chine, en 1975. Sous le voile de la thèse et l'antithèse, je découvre le yin et le yang, la nuit et le jour, l'intériorité et l'extériorité, le masculin et le féminin. Rapidement, tous mes travaux, dans un service d'études, vont porter la marque de cette nouvelle découverte. L'outil intellectuel est en train de s'enraciner, pour moi, dans la vie sociale et individuelle.

C'est alors qu'un autre dépaysement m'oblige à remettre en cause mes dernières acquisitions. En 1980, je fais un voyage au Pérou. La culture des Indiens m'intrigue ; elle m'apparaît très vite comme un soubassement fondamental de notre propre culture. Je découvre ici les grands archétypes de la vie. Or la logique de l'Indien n'est pas une logique ternaire ; elle est une logique quaternaire. Elle croise les quatre directions : nord/sud, est/ouest, l'espace et le temps, parcourant les quatre sommets de la croix comme le soleil parcourt le ciel. Le mouvement de la vie n'est plus enfermé dans le trois. Il bascule dans le quatre.

Peu à peu cependant, je me sens mal à l'aise dans cette logique que j'ai sans doute mal comprise. Elle me semble trop cyclique et peut conduire à la répétition. Il faut trouver une ouverture. L'étude de l'aménagement du temps me fait comprendre qu'une des directions essentielles de la dynamique sociale est la constitution du sujet. Où trouver la place du sujet dans une logique quaternaire ? Une intuition simple me conduit alors ; la logique quaternaire trouve son lieu d'ouverture final au croisement des deux axes de la croix. Ce point d'ouverture est précisément le lieu du sujet. A partir de ce moment, j'adopte le cinquième terme et il me devient plus facile de rendre compte des événements nouveaux, qui se présentent dans le champ social.

Et pourtant ma réflexion intellectuelle se trouve encore coincée dans l'habit que je lui ai confectionné. Je prends conscience qu'il faut redonner sa place à l'imaginaire. Je ne peux rien comprendre de la vie sans passer par l'image. C'est alors que je m'intéresse aux textes mythiques et à ceux qui s'en rapprochent, mobilisant l'énergie de plusieurs groupes, un groupe de la parole et un café philosophique, pour interpréter les contes. Les découvertes ici sont de tout premier plan : le groupe de la parole renaît à chaque séance et le café philosophique m'oblige à construire un modèle d'interprétation. La sémiotique inspirée par Greimas me paraît trop compliquée pour les publics que je connais. La logique à cinq termes donne des résultats non négligeables, mais elle évacue des pans entiers du texte. Les hasards de la vie familiale vont me permettre de débloquer la situation.

En 2000, un neveu m'invite à son mariage au Mexique. Avec d'autres membres de ma famille, je parcours le pays, essayant de repérer les modes de pensée des Indiens. Leur logique se révèle plus complexe que celle que j'avais repérée au Pérou. Ils utilisent comme moi la croix avec son centre, mais ils donnent aussi une place aux diagonales, qui impriment son mouvement à l'ensemble. C'est ainsi que de cinq termes, nous passons à neuf termes. Le calendrier aztèque en est une bonne illustration. Avec l'homme qui tire la langue au centre, il paraît montrer que toute la logique de la vie conduit à la constitution d'un sujet parlant. De retour à Lyon, j'expérimente le nouveau modèle pour l'analyse des contes, en essayant de caractériser chaque moment du récit par un terme spécifique, dans un mouvement global qui va de gauche à droite.

C'est ce modèle que je voudrais présenter ici. Il semble parfaitement convenir pour l'analyse d'un texte symbolique, qui cache pour révéler, et exige une interprétation pour rejoindre la réalité d'hier, d'aujourd'hui et de demain.

- En un premier temps, il donne la structure, qui va servir de cadre pour l'étude engagée : cette structure ouvre le champ de l'analyse et met en relief le mouvement du récit et les étapes de l'histoire qui est racontée. D'emblée, elle se situe dans le mouvement et plus précisément dans un processus.
- En un deuxième temps, le modèle s'attache aux
figures et aux images indispensables pour accéder au sens, qu'il resitue dans le processus qui vient d'être repéré. L'image est médiatrice, pour la connaissance : elle permet d'accéder aux grands symboles, qui vont structurer la parole, et prépare l'émergence du sens.
- Dans la démarche suivante, par le jeu des oppositions, le modèle favorise la sélection des
fragments de sens et les organise dans un ensemble vivant et progressif, qui met en relief les différents moments de l'interprétation et les seuils qui autorisent le passage d'un niveau à un autre.
- Enfin, à partir du sens, il permet de faire apparaître le processus, avec ses étapes essentielles, qui conduisent à la
constitution du sujet. La plupart des textes symboliques et plus spécialement les contes, les mythes et les paraboles visent à constituer historiquement un sujet. Ils agissent comme des pédagogues cachés, qui doivent conduire les hommes vers leur accomplissement et le monde vers son achèvement.


Les éléments du modèle

La croix représente la structure.
Les diagonales introduisent la mobilité.
Les neuf points marquent les étapes du déroulement de l'action ou du récit.
Le déroulement chronologique commence en 1 et se termine en 9.
Les extrémités des diagonales et de la croix (1/5, 2/6, 3/7, 4/8) sont en opposition.
L'opposition représente le plus souvent une différence, qui marque une progression, plutôt qu'une contradiction radicale.
Le sens émerge au fur et à mesure de la progression, qui va de 1 à 9.

 

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La matrice

 

8

REVELATION
- Prise de conscience de la place de chaque chose et de chaque être dans un monde en lien avec l'inconnu et le tout possible


1

MISE EN SCENE
- Situation dans un monde donné

 

7

REBONDISSEMENT DES PROBLEMES ET DES EPREUVES
- Vécus en lien avec l'inconnu et le tout possible


2

EVENEMENT OU ACTION

 

 

9

CONSTITUTION DU SUJET AUTOUR DE L'ÊTRE SOI ET L'AMOUR
- L'être soi et l'amour révélés comme l'expres-sion de l'Être, fonde-ment et fin de tout existant
- Ils trouvent leur stabilité dans l'Être qui les fonde

 

 

6

ACCOMPLISSEMENT DE L'EVENEMENT OU DE L'ACTION
- En lien avec l'inconnu et le tout possible


3

QUESTION : PROBLEMES, EPREUVES

 

 

5

NOUVELLE MISE EN SCENE
- Situation dans deux mondes ou entre deux mondes
- Entrée dans le paradoxe


4

SAUT DANS L'INCONNU OU LE TOUT POSSIBLE
- Affrontement à la mort
- Passage nécessaire pour la progression


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II. La vérification du modèle


Pour chacun des exemples retenus, Le nom et Le jugement de Salomon, nous partirons du texte, tel qu'il nous est parvenu. Ensuite nous l'analyserons en quatre moments : la structure, les images, le sens et la constitution du sujet. Enfin, nous tenterons de recréer le texte, en tenant compte de l'analyse, pour l'inscrire dans une tradition vivante.

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Le nom

 

Village africain

http://rlerallut.free.fr/images/Arthus/63.html

Le nom

Il était une fois un village qui n'avait pas de nom.
Personne ne l'avait jamais présenté au monde.
Personne n'avait jamais présenté la parole
Par laquelle une somme de maisons, un écheveau de ruelles,
D'empreintes, de souvenirs sont désignés à l'affection des gens
Et à la bienveillance de Dieu.
On ne l'appelait même pas " le village sans nom ",
Car ainsi nommé, il se serait aussitôt vêtu de mélancolie,
De secret, de mystère, d'habitants crépusculaires,
Et il aurait pris place dans l'entendement des hommes.
Il aurait eu un nom.
Or, rien ne le distinguait des autres,
Et pourtant il n'était en rien leur parent,
Car seul il était dépourvu de ce mot
Sans lequel il n'est pas de halte sûre.
Les femmes qui l'habitaient n'avaient pas d'enfants.
Personne ne savait pourquoi.
Pourtant nul n'avait jamais songé à aller vivre ailleurs,
Car c'était vraiment un bel endroit que ce village.
Rien n'y manquait et la lumière y était belle.

Or, il advint qu'un jour une jeune femme de cette assemblée de cases
S'en fut en chantant par la brousse voisine.
Personne, avant elle, n'avait eu l'idée
De laisser aller ainsi les musiques de son coeur.
Comme elle ramassait du bois et cueillait des fruits,
Elle entendit soudain un oiseau
Répondre à son chant dans le feuillage.
Elle leva la tête, étonnée, contente.
" Oiseau, s'écria-t-elle, comme ta voix est heureuse et bienfaisante !
Dis-moi ton nom que nous le chantions ensemble ! "
L'oiseau voleta de branche en branche parmi les feuilles bruissantes,
Se percha à portée de main et répondit :
" Mon nom, femme ? Qu'en feras-tu quand nous aurons chanté ?
- Je le dirai à ceux de mon village.
- Quel est le nom de ton village ?
- Il n'en a pas, murmura-t-elle, baissant le front.
- - Alors, devine le mien ! " lui dit l'oiseau dans un éclat moqueur.
Il battit des ailes et s'en fut.
La jeune femme, piquée au coeur, ramassa vivement un caillou et le lança à l'envolé.
Elle ne voulait que l'effrayer.
Elle le tua.
Il tomba dans l'herbe, saignant du bec,
Eut un sursaut misérable et ne bougea plus.
La jeune femme se pencha sur lui, poussa un petit cri désolé,
Le prit dans sa main et le ramena au village.

Au seuil de sa case, les yeux mouillés de larmes,
Elle le montra à son mari.
L'homme fronça les sourcils, se renfrogna et dit :
" Tu as tué un laro. Un oiseau-marabout. C'est grave ".
Les voisins s'assemblèrent autour d'eux,
Penchèrent leur front soucieux sur la main ouverte où gisait la bestiole.
" C'est en effet un laro, dirent-ils.
Cet oiseau est sacré.
Le tuer porte malheur. - Que puis-je faire homme, que puis-je faire ? "
Gémit la femme, tournant partout la tête,
Baisant le corps sans vie, essayant de le réchauffer contre ses lèvres tremblantes.
" Allons voir le chef du village, dit son mari. "

Ils y furent, femmes, époux et voisins.
Quand la femme eut conté son aventure,
Le chef du village catastrophé dit à tous :
" Faisons-lui de belles funérailles pour apaiser son âme.
Nous ne pouvons rien d'autre.
Trois jours et trois nuits, on battit le tam-tam funèbre
Et l'on dansa autour de l'oiseau marabout.
Puis on le pria de ne point garder rancune du mal qu'on lui avait fait,
Et on l'ensevelit.

Six semaines plus tard, la femme qui avait la première chanté dans la brousse
Et tué le laro se sentit un enfant dans le ventre.
Jamais auparavant un semblable événement n'était survenu au village.
Dès qu'elle l'eut annoncé, toute rieuse,
Sous l'arbre au vaste feuillage qui ombrageait la place,
On voulut fêter l'épouse féconde
Et l'honorer comme une porteuse de miracle.
Tous, empressés à la satisfaire, lui demandèrent ce qu'elle désirait.
Elle répondit : " L'oiseau-marabout est maintenant enterré chez nous.
Je l'ai tué parce que notre village n'avait pas de nom.
Que ce lieu où nous vivons soit donc appelé Laro, en mémoire du mort.
C'est là tout ce que je veux. - Bien parlé, dit le chef du village ".
On fit des galettes odorantes, on but jusqu'à tomber dans la poussière
Et l'on dansa jusqu'à faire trembler le ciel.

La femme mit au monde un fils.
Alors toutes les épouses du village se trouvèrent enceintes.
Les ruelles et la brousse alentour s'emplirent bientôt de cris d'enfants.
Et aux voyageurs fourbus qui vinrent (alors que nul n'était jamais venu)
Et qui demandèrent quel était ce village hospitalier
Où le chemin du jour les avait conduits,
On répondit fièrement : " C'est celui de Laro ".
A ceux qui voulurent savoir pourquoi il était ainsi nommé,
On conta cette histoire.
Et à ceux qui restèrent incrédules et exigèrent la vérité,
on prit coutume de dire :
" D'abord fut le chant d'une femme.
Le chant provoqua la question.
La question fit surgir la mort.
La mort fit germer la vie.
La vie mit au monde le nom ".
(Conte africain, Henri Gougaud, L'arbre aux trésors, Ed. du Seuil)

 

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Grille d'analyse du nom

 


Premier temps : la structure

8

GRANDE JOIE AU VILLAGE
- La femme meurtrière donne naissance à un fils
- Les femmes en âge de procréer sont enceintes


1

UN VILLAGE SANS LIEN, SANS NOM, SANS IDENTITE
- Le village n'est qu'un ensemble d'habitations
- Il a quelque chose d'inquiétant

 

7

L'OISEAU TUE DONNE SON NOM AU VILLAGE
- C'est le souhait de la femme meurtrière
- Le chef approuve
- Tous les habitants approuvent à leur tour


2

LES FEMMES N'ONT PAS D'ENFANTS
- Elles ne connaissent pas les joies de la maternité
- Aucun bébé n'a vu le jour sur ce territoire

 

9

LE VILLAGE REVIT
- Il y a des cris d'enfants partout

 

6

AU BOUT DE SIX SEMAINES APRES LES FUNERAILLES, LA FEMME MEURTRIERE EST ENCEINTE
- Elle annonce le miracle
- C'est l'explosion de joie


3

MEURTRE D'UN OISEAU QUI NE VEUT PAS DONNER SON NOM AU VILLAGE (AUX GENS DU VILLAGE)
- La femme lance une pierre
- L'oiseau tombe comme un fruit mûr

 

5

LE VILLAGE SE RASSEMBLE POUR FAIRE DES FUNERAILLES GRANDIOSES A L'OISEAU MORT
- Pendant trois jours la population se relaie
- On joue du tam-tam
- Les femmes pleurent et prient


4

LA MORT QUI FAIT PEUR
- L'oiseau tué est un oiseau marabout
- Sa mort porte malheur



Deuxième temps : les images

8

LA VIE QUI REVIENT
- La femme qui met au monde un fils
- Les autres épouses enceintes


1

UN VILLAGE SANS NOM INQUIETANT
- Une somme de maisons
- Un village pas comme les autres
- Une halte peu sûre

 

7

L'OISEAU TUE QUI DONNE SON NOM AU VILLAGE
- La fête au village
- L'oiseau enseveli qui donne son nom


2

LES FEMMES STERILES
- Les enfants absents
- La tristesse

 

 

9

LES CRIS D'ENFANTS
- Les ruelles remplies de cris d'enfants
- Les voyageurs attirés

 

6

LA JEUNE FEMME ENCEINTE
- L'enfant dans le ventre
- La mère rieuse


3

L'OISEAU TUE PAR UNE HABITANTE
- Le bois mort
- Le chant exceptionnel d'une femme
- L'oiseau moqueur qui ne veut pas donner son nom
- L'oiseau tombé à terre

 

 

5

LES FUNERAILLES GRAN-DIOSES
- Le tam-tam
- La danse
- La prière
- L'ensevelissement


4

LA PEUR DE LA MORT
- La jeune femme désolée
- Le visage grave du mari
- Les habitants qui craignent le malheur
- Le chef du village catastro-phé




Analyse du sens

 

8

LORSQUE LA FORCE DE MORT EST INSCRITE DANS LA PAROLE, C'EST LA VIE QUI SE REPETE
- La femme met un monde un fils
- Toutes les épouses sont enceintes


1

IL MANQUE AU VILLAGE QUELQUE CHOSE QUI FASSE LIEN
- Il manque un nom
- Le nom donne une identité
- L'identité permet le lien

 

7

LORSQUE LA VIE REPREND LA PREMIERE PLACE, LA FORCE DE MORT PEUT ÊTRE INTEGREE ET DONNER NAISSANCE A LA PAROLE
- La force de mort, inscrite dans le nom, féconde la vie
- Elle donne naissance à la parole


2

LE MANQUE DE LIEN BLOQUE LA FECONDITE DES FEMMES
- La confusion dans les rapports
- La vie ne passe pas

 

9

L'ENFANT, OU LA VIE EN SON COMMENCEMENT, EST AU CENTRE
- Au centre du village
- Au centre de soi-même (l'enfant qui est en soi)

 

6

LORSQUE LA MORT FAIT LIEN, LA FECONDITE DE LA VIE REVIENT
- La mort introduit la séparation
- Elle permet de sortir de la confusion
- Elle ouvre la voie à la vie


3

LE MANQUE DE LIEN PROVOQUE LA MORT
- La mort prend le pas sur la vie
- Elle empêche l'échange de filiation

 

5

DANS LE TRAVAIL DE DEUIL, LA MORT COMMENCE A FAIRE LIEN
- Tout le village se rassemble


4

CETTE MORT PEUT SE RÉPÉTER
- Lorsque la mort n'est pas liée à la vie, elle se répète
- Pour éviter la répétition, il faut affronter la force de mort

 

Le processus de constitution du sujet


Nous analyserons une double évolution : celle de la femme et celle du village.

La constitution du sujet chez la femme


Nous allons faire apparaître les différentes étapes de cette constitution.

1. Confusion

- dans les relations avec les gens du village
- dans le rapport entre la vie et la mort, entre force de vie et force de mort

2. La confusion provoque la mort

- mort de l'oiseau
- sans volonté de la donner

3. Prise de conscience de la force de mort

- peur
- cette mort peut se répéter

4. Travail de deuil pour éviter la répétition

- le travail de deuil met de la distance par rapport au mort
- par rapport à la mort
- par rapport à la force de mort

5. La force de vie prend la première place

- la vie est provoquée par la force de mort mise à distance
- la force de vie prend le pas sur la force de mort (la femme est enceinte)

6. La force de mort est intégrée dans la parole

- nom de l'oiseau mort affecté au village, à l'initiative de la femme
- la force de mort féconde la force de vie (en un sens, c'est elle qui a fécondé la femme et c'est encore elle qui va féconder le village)
- le nom permet à la parole de naître
- la parole va, en même temps, relier et séparer

7. La parole permet à la vie de se répéter et de se multiplier

- avec la parole, naissance de vraies relations
- la vie passe de la femme à toutes les épouses du village

8. La parole renvoie à soi

- à la parole intérieure
- à l'enfant symbolique qui est en soi


La transformation du village pour permettre aux habitants de se constituer comme sujets


1. Prise de conscience, par le chef du village, de la mort et de la force de mort

2. Prise conscience de la mort et de la force de mort par les habitants du village

3. Peur que cette mort ne se répète et se multiplie par un phénomène de mimétisme

- Ce serait un grand malheur pour le village

4. Travail de deuil pour mettre à distance la force de mort

- Ce travail de deuil commence à créer un lien, à constituer une vraie communauté villageoise, en rassemblant tous les habitants
- Il écarte le danger de répétition et de multiplication de la mort


5. Le village solidaire de la femme en qui la force de vie se révèle

- Prise de conscience que ce phénomène concerne toute la communauté : réjouissance...

6. Le village fondé sur la force de mort intégrée dans la parole

- sur l'oiseau mort qui donne son nom au village
- le nom qui crée une identité rend possible la parole entre les habitants


7. Lieu de parole, le village devient un lieu où la vie explose

8. Il permet à chacun de trouver la voie de son individuation


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Le texte recréé


Il existe, dans le creux d'une vallée verdoyante et agréable de l'Afrique, un village qui n'a pas de nom. Ses maisons sont belles et ses rues pittoresques, mais il est comme un enfant abandonné que ses parents n'ont pas reconnu. Il lui manque une fondation, un enracinement dans la vie. Aussi donne-t-il aux passants une impression lugubre, comme si la mort était présente à la porte de chaque maison et au détour de chaque rue. Personne ne s'arrête ici pour prendre une boisson ou engager une conversation avec les habitants. Il paraît que cela porte malheur aux étrangers. Bien plus, la malédiction s'est introduite dans les familles : depuis la construction du village, aucune femme n'a connu les joies de la maternité. Aucun bébé n'a vu le jour sur ce territoire maudit. Que les habitants le veuillent ou non, c'est la mort qui semble présider à la destinée de ce lieu, abandonné des dieux. Mais jusqu'ici, ils n'ont pas fait le lien entre une telle situation et l'absence de nom de leur localité.

Or, par un bel après-midi de printemps, une jeune femme s'en va cueillir du bois mort dans la forêt voisine. C'est un peu comme si l'arbre de vie avait, ici, cessé d'exister et qu'il fallait se chauffer avec la mort. En fait, elle n'y pense pas. Elle se laisse emporter par son humeur plutôt gaie et se met à chanter. Sa mélodie joyeuse attire un oiseau, qui vient se poser sur une branche, juste au-dessus de sa tête. Mais c'est un oiseau, qui n'est pas comme les autres. Par son sifflement, il renvoie en écho, dans la forêt, le chant de la jeune femme. La jeune femme s'en amuse et déjà se remet à vivre. Elle l'interpelle : "Ô oiseau béni quel est ton nom ?" En fait, elle ne s'attend pas à une réponse. Et pourtant, elle entend très clairement, dans sa langue maternelle : "Que vas-tu faire de mon nom ?". Elle s'interroge : "Que vais-je faire de son nom, que vais-je faire de son nom ?" C'est vrai, elle n'y avait pas pensé : "Ton nom, dit-elle, avec un peu d'émotion dans la voix, je le communiquerai aux gens de mon village. - Ah tiens ! reprend l'oiseau malicieux, quel est le nom de ton village ? - Il n'en a pas, fait-elle, en baissant les yeux, comme si elle était prise en flagrant délit, mais en flagrant délit de quoi ? - Alors devine le mien, rétorque l'animal espiègle." L'oiseau vient de mettre le doigt sur une plaie dont la femme n'avait aucune conscience. Cette plaie qui fait mal maintenant est comme un trou, comme un manque, comme une question à laquelle elle ne peut pas répondre : "Pourquoi notre village n'est-il pas comme les autres villages, pourquoi n'a-t-il pas de nom ?" La parole lui manque : elle répond à l'oiseau par un jet de pierre, par une violence qui porte la mort. L'oiseau qu'elle vient d'atteindre tombe inanimé à ses pieds. Atterrée, elle le prend dans ses mains, le réchauffe contre son sein. Son sein serait-il mort aussi ? L'oiseau ne reprend pas son souffle. Son cœur a définitivement cessé de battre.

Alors la femme emporte l'oiseau mort sur son bras replié. Elle arrive au village en sanglotant. Son mari l'aperçoit. Il se précipite vers elle. Aussitôt il voit l'oiseau, l'examine. Son épouse attendait une consolation. Il l'accueille par un jugement accablant : " Tu as tué un laro. C'est un oiseau marabout. Sa mort porte malheur." Sans savoir pourquoi, elle a l'étrange impression de mettre au monde un enfant mort : le père vient même de le reconnaître en lui donnant un nom. Mais ce nom venu d'ailleurs semble porter la vie. Tout à coup, en elle, le nom jusqu'ici inconnu semble relier la mort et la vie, et donner naissance à une nouvelle existence. Cela, son mari ne peut le ressentir. Pour le moment, elle se dit qu'elle en conservera le secret. En fait, c'est peine perdue car, aussitôt, en dépit de la lueur passagère, elle retombe dans la confusion et dans le désespoir.


Le mari et son épouse se précipitent alors chez le chef du village. Il faut agir vite, une catastrophe menace les hommes et les femmes de la communauté. La mort peut se répéter sans qu'on puisse l'arrêter, à la vitesse d'une grande épidémie. Pour éviter un tel désastre, il faut faire à l'oiseau de grandes funérailles. Le chef du village, pour la première fois, agit en grand thérapeute. Il ne savait pas que sa cité était malade : le meurtre de l'oiseau marabout vient de lui ouvrir les yeux. C'est l'épreuve d'un baptême qui s'impose à tous : traverser la mort pour en faire une alliée de la vie et empêcher que le geste fatal de la violence meurtrière ne se renouvelle à l'avenir. Pendant trois jours, la population se relaie autour de la tombe de l'oiseau, recouverte de fleurs : des femmes pleurent, des hommes jouent du tam-tam et tous prient pour l'âme du laro.

Au bout de six semaines, la femme, qui avait tué l'oiseau, sent un enfant bouger dans son ventre. Elle se rappelle la lueur, qui avait traversé son esprit, lorsqu'elle avait présenté l'animal mort à son mari. Elle se dit maintenant que ce rayon de lumière a fécondé son corps ; il a ouvert son désir désespérément fermé pour recevoir le germe de vie. Sans attendre, elle annonce le miracle. C'est une immense explosion de joie qui parcourt le village. Chacun voudrait lui offrir un cadeau : on lui demande ce qui lui ferait plaisir. Elle n'a qu'un souhait. Elle dit simplement : "Notre village n'a pas de nom ; j'aimerais qu'on lui donne le nom de Laro. Ainsi l'oiseau mort enterré chez nous lui servira de fondation". Elle a presque confondu fondation et fécondation. Non, elle n'a pas confondu mais elle sait maintenant que c'est la même chose. Fonder, c'est poser la force du mort au dessous de la force de vie, pour la féconder. C'est donner aux vivants le nom de celui qui accepté de mourir pour les faire vivre. Aussi le nom, dans sa résonance la plus forte, vient-il rappeler à chacun que l'histoire des hommes est fondée sur un meurtre originel qu'il est désormais interdit de reproduire, car c'est l'interdit qui permet à la force de mort de féconder le désir de vivre.

Le soleil est encore élevé à l'horizon. A peine la femme a-t-elle exprimé son souhait que la foule approuve et que la fête se déchaîne. Les danses et les chants se poursuivent pendant toute la nuit, jusqu'au lever du jour. Un village vient de naître à la vie, après avoir traversé la mort. Au bout de quelques mois, la femme enceinte donne naissance à un fils. Toutes les autres femmes, en âge de procréer, sont enceintes à leur tour.

Aujourd'hui, les passants n'ont plus peur de s'arrêter dans ce lieu qu'ils croyaient maudit. En recevant son nom, le village est devenu un lieu où la parole est possible. Parler, n'est-ce pas dire son nom, échanger de la filiation et donc de la fécondation ? C'est pourquoi, ici, depuis quelque temps, les cris d'enfants fusent de toutes parts.

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Le jugement de Salomon

Maître du Jugement de Salomon: Les Philosophes Saint-Omer,
Musée de l'Hôtel Sandelin Cliché RMN

http://www.dictionnaires.culture.fr/textsec2_1_b.html

 

Le jugement de Salomon


Deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui.
L'une des femmes dit : " S'il te plaît, Monseigneur !
Moi et cette femme, nous habitons la même maison
Et j'ai eu un enfant alors qu'elle était dans la maison.
Il est arrivé que le troisième jour, après ma délivrance,
Cette femme aussi a eu un enfant.
Nous étions ensemble.
Il n'y avait plus d'étranger dans la maison,
Rien que nous deux dans la maison.
Or le fils de cette femme est mort une nuit
Parce qu'elle s'était couchée sur lui.
Elle se leva au milieu de la nuit,
Prit mon fils d'à côté de moi, pendant que ta servante dormait.
Elle le mit sur son sein et son fils mort elle le mit sur mon sein.
Je me levai pour allaiter mon fils,
Et voici qu'il était mort !
Mais, au matin, je l'examinai,
Et voici que ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté ! "
Alors, l'autre femme dit : " Ce n'est pas vrai !
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! "

Elles se disputaient devant le roi qui prononça :
" Celle-ci dit : " Voici mon fils et c'est ton fils qui est mort ! "
Celle-là dit : " Ce n'est pas vrai !
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! "
" Apportez-moi une épée, " ordonne le roi.
Et on apporta l'épée devant le roi, qui dit :
" Partagez l'enfant vivant en deux
et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre. "
Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi,
Car sa pitié s'était enflammée pour son fils et elle dit :
" S'il te plaît Monseigneur !
qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas ! "
Mais celle-là disait :
" Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez ! "

Alors le roi prit la parole et dit :
" Donnez l'enfant à la première, ne le tuez pas.
C'est elle la mère ! "
Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi.
Ils révérèrent le roi car ils virent
Qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice.
(Bible de Jérusalem, I Rois, 3, 16-28)

 

__________________________

 

Grille d'analyse du Jugement de Salomon

Premier temps : la structure

8

EPISODE DE LA PAROLE :
DONNER L'ENFANT TOUT ENTIER A LA PREMIERE FEMME
- C'est elle la mère


1

ACCUSATION DE LA PREMIERE FEMME
- La première prostituée a eu un enfant
- La seconde aussi, mais son enfant est mort
- Elle a échangé l'enfant mort contre l'enfant vivant

 

7

PRISE DE PAROLE DE SALOMON POUR TRANCHER ET SORTIR DE LA DISPUTE
- Passage de l'épée à la parole


2

LA SECONDE FEMME RECUSE L'ACCUSATION DE LA PREMIERE
- L'enfant de la première femme est mort
- Le sien est vivant

 

 

9

RECONNAISSANCE PUBLIQUE DE LA SAGESSE DIVINE DE SALOMON
- Israël apprend
- Il révère le roi
- Car il reconnaît en lui une sagesse divine

 

6

LA SECONDE FEMME PREFERE VOIR L'ENFANT PARTAGE
- Il ne sera ni à l'une ni à l'autre


3

ACCUSATIONS RECIPROQUES
- Comment séparer le mensonge et la vérité ?

 

 

5

LA PREMIERE FEMME PREFERE ÊTRE SEPAREE DE SON ENFANT PLUTÔT QUE DE LE VOIR PARTAGE
- Sa pitié est enflammée pour son fils
- Il vaut mieux le donner à la première femme sans le tuer


4

EPISODE DE L'EPEE : PARTAGER L'ENFANT EN DEUX POUR EN DONNER LA MOITIE A CHACUNE



Deuxième temps : les images

8

LA PAROLE DU ROI QUI TRANCHE
- Les deux femmes séparées


1

LA FEMME A QUI ON ARRACHE SON ENFANT
- La mort de l'enfant étouffé
- L'échange d'enfant pendant la nuit

 

 

7

LE ROI QUI PASSE DE L'EPEE A LA PAROLE
POUR L'ATTRIBUTION DE L'ENFANT


2

LA FEMME QUI NE RECONNAÎT PAS SON FORFAIT
- La femme qui n'accepte pas la mort

 

 

9


ISRAËL, PLEIN DE REVERENCE POUR LA SAGESSE DU ROI

 

6

LA FEMME NON ATTACHEE A LA VIE DE L'ENFANT
- La femme qui veut la mort de l'enfant vivant


3

LES FEMMES EN CONFLIT POUR L'ATTRIBUTION DE L'ENFANT

 

 

5

LA FEMME ATTACHEE A LA VIE DE L'ENFANT
- La femme qui a peur pour la vie de son enfant
- La femme qui renonce à reprendre son enfant pour lui sauver la vie

 


4

L'EPEE DU ROI QUI TRANCHE
- Les deux moitiés d'enfant
séparées



Troisième temps : le sens

8

JUGEMENT : LA VERITABLE MERE EST CELLE QUI EST ATTACHEE A LA VIE DE L'ENFANT


1

MALVERSATION : L'ENFANT ECHANGE PENDANT LA NUIT
- Confusion entre la vie et la mort
- Confusion de mort entre l'une des mères et son enfant
- Confusion entre les deux enfants

 

7

LE ROI QUI VA DENOUER LE CONFLIT EN SEPARANT PAR LA PAROLE
- Au lieu de prendre l'épée pour régler le conflit né de la confusion, Salomon prend la parole pour le dépasser
- La parole dénoue le conflit en séparant le mensonge et la vérité

 


2

MALVERSATION NON RECONNUE PAR LA COUPABLE
- Elle ne peut accepter la mort de l'enfant
- Elle ne peut accepter d'en être responsable

 

9

LE ROI EST SAGE PARCE QU'IL SAIT SEPARER PAR LA PAROLE ET QU'IL FONDE SA PAROLE SUR UNE LOI QUI LE DEPASSE

- Il sait séparer la mort et la vie
- Le mensonge et la vérité
- Cela est possible parce qu'il est ouvert à une Loi qui est donnée et qui le dépasse

 

 

6

LA SECONDE N'EPROUVE AUCUN SENTIMENT D'ATTACHEMENT A LA VIE DE l'ENFANT
- Elle ne peut accepter la vie de l'autre enfant
- Elle ne peut accepter la différence entre elle, irres-ponsable, et l'autre femme responsable


3

LE CONFLIT POUR LE MÊME ENFANT
- Le conflit révèle une confusion entre le mensonge et la vérité
- Problème : comment en sortir ?

 

5

LA PREMIERE FEMME EST PLEINE D'ATTACHEMENT A LA VIE
- Elle arrête l'épée qui fait mourir
- Elle sépare la vie et la mort
- Elle se sépare de son enfant pour le faire vivre

 


4

LA MENACE DE L'EPEE POUR MESURER L'ATTACHEMENT A LA VIE
- Provocation de la force de mort pour faire sortir la force de vie
- Le partage qui n'en est pas un

 

 

Le processus de constitution du sujet


Nous suivrons le fonctionnement de trois personnages : Salomon, la première femme, la seconde femme.


Le passage de la violence réelle à la parole et à la Loi, pour séparer, chez Salomon

La force de mort qui aboutit à la parole du juge se révèle être une force de séparation.

1. Utilisation de l'épée (force de mort) comme menace pour provoquer les deux femmes

2. Cette menace fait apparaître la force de vie chez la première femme : elle est plus forte que la force de mort

- La femme préfère se séparer de son fils plutôt que de le voir mort

3. Cette apparition de la force de vie limite la force de mort à la menace : la violence réelle commence à devenir violence symbolique

- c'est la réaction de la première femme, qui arrête le mouvement de l'épée

4. La force de mort peut être intégrée et donner naissance à la parole

- la parole récupère toute la force de séparation qui était dans la force de mort (violence séparatrice)
- elle n'exclut pourtant pas la menace comme première étape indispensable


5. La parole sépare

- sépare les deux femmes
- l'enfant mort et l'enfant vivant
- la vraie mère et la fausse mère
- le mensonge et la vérité ...


6. Cette parole se réfère à une Loi qui la dépasse

- Salomon n'est pas enfermé en lui-même : il s'ouvre à ce qui le dépasse et qui fonde la justesse de sa parole
- C'est pour cette raison qu'il a une sagesse divine


Le processus de constitution du sujet chez la première femme


1. Confusion

- dans les relations avec l'autre femme
- entre les deux enfants


2. Séparation entre les deux enfants

- après l'échange de l'enfant, la femme sait que l'enfant mort n'est pas le sien
- elle est prête à se défendre pour faire sortir la vérité

3. Réinvestissement de la force de vie sous l'effet de la menace de l'épée

- prise de distance par rapport à la force de mort
- elle veut préserver la vie de l'enfant

4. Séparation entre la mère et son enfant

- Elle est prête à céder son enfant à l'autre femme pour préserver sa vie

5. Séparations sous l'effet de la parole de Salomon

- entre les deux femmes
- entre les deux mères
- entre l'enfant mort qui n'est pas le sien et l'enfant vivant qui lui revient...

6. Réveil de la conscience et constitution du sujet

- Séparation entre le mensonge et la vérité
- Ouverture à la Loi



Le processus contrarié de la constitution du sujet chez la seconde femme


1. Confusion

- entre les deux femmes
- entre les deux mères
- entre la mère et son enfant
- entre les deux enfants


2. La confusion produit la mort de l'enfant

- elle vit tellement dans la fusion avec son enfant qu'elle se couche sur lui et l'étouffe
- sans le vouloir

3. Non acceptation de la mort de son enfant

- elle ne se plie pas à la réalité
- elle vit dans l'imaginaire


4. Echange de l'enfant

- si son enfant n'est pas mort, c'est donc l'enfant vivant qui est le sien

5. Révélation de la primauté de la force de mort chez elle

- elle préfère la mort de l'enfant plutôt que s'en dessaisir au profit de l'autre femme

6. La femme mise en face de la réalité par la parole de Salomon

- l'autre femme est différente d'elle-même
- elle n'est pas la mère de l'enfant vivant
- l'enfant vivant lui est enlevé


7. Elle peut maintenant évoluer

- en donnant la priorité à la force de vie sur la force de mort
- en acceptant l'altérité
- en donnant sa place à la parole
- en distinguant le mensonge et la vérité...




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Le texte recréé


Deux jeunes prostituées vivent dans une constante promiscuité des corps. Elles ont l'une pour l'autre une amitié sincère, qui donne un peu de cohérence à leur existence morcelée. Mais leur relation est marquée par la fusion et la confusion ; elles manifestent de grands épanchements de sentiments mais éprouvent aussi des tiraillements, qui dégénèrent parfois en conflits. L'une des deux pourtant paraît plus enracinée dans la vie. Elle vient d'avoir un garçon. Le troisième jour, après sa délivrance, la seconde accouche à son tour d'un autre garçon. Les événements de leur vie se répètent, comme si elles étaient deux sœurs jumelles. Aussi ont-elles de la peine à savoir ce qui est propre à l'une et ce qui appartient à l'autre. D'ailleurs leur entourage avoue que leurs enfants se ressemblent étrangement.

Or la seconde femme, un peu moins expérimentée, ne sait pas mettre la distance nécessaire entre elle et sa progéniture. L'enfant fait encore partie d'elle-même, comme lorsqu'il vivait dans son ventre. Pendant son sommeil, la mère le rapproche de son sein, pour entendre battre son cœur à l'unisson du sien. C'est ainsi qu'au cours d'une nuit elle finit par se coucher sur lui et par l'étouffer sans y prendre garde. Son cœur ne bat plus. Elle est affolée et ne peut se résoudre à cet écartèlement. Sans réfléchir, elle le porte dans le lit de son amie, qui est en train de dormir, le place à côté d'elle et emporte le bébé qui est encore en vie.

Lorsque l'amie se réveille, elle se lève gaiement pour allaiter son enfant. Mais l'enfant s'est raidi et ne porte plus la vie. La femme le regarde, l'examine avec une attention infinie : elle ne reconnaît pas son garçon. Ses cheveux sont plus courts, plus foncés et les taches de rousseur qu'elle avait remarquées sur son front ont mystérieusement disparu. Aussitôt elle comprend le stratagème et vient interpeller celle qui était jusqu'ici son amie. Elle ne veut rien entendre. Cet enfant est bien à elle : elle ne s'en séparera à aucun prix.

La première femme ne peut en rester là : elle en appelle au roi Salomon, qui a une réputation de grande sagesse. La seconde est d'accord pour faire entendre sa vérité. Le roi se laisse émouvoir et demande aux deux plaignantes de se présenter devant son tribunal avec l'enfant vivant. Il les interroge l'une après l'autre. Chacune donne sa version, qui ne permet pas de trancher. Salomon est plein de perplexité. Il imagine une mise en scène. Les femmes seront, avec lui, les actrices de la pièce de théâtre qu'elles viennent d'ébaucher. Il faut aller jusqu'au bout pour arriver au dénouement. Il demande qu'on lui apporte sa grande épée. Un serviteur arrive avec l'arme qu'il a sortie de son fourreau. Ceux qui assistent au procès se demandent quelle idée il a derrière la tête. Le roi n'a pas la réputation d'un bourreau. Ils ont pourtant un mouvement de recul lorsqu'il ordonne de partager l'enfant vivant en deux et d'en donner la moitié à l'une et la moitié à l'autre. Le serviteur hésite, regarde Salomon, qui reste impassible. Il commence à lever l'épée lorsque la première femme l'arrête : "Je vous en supplie, ne tuez pas l'enfant. Qu'on le donne plutôt à ma compagne. - Non, réplique la seconde mère. Allez-y, il ne sera ni à l'une ni à l'autre."

Un léger sourire traverse le visage de Salomon comme si la lumière venait de se faire dans son esprit. La partie est finie. Il ordonne à son serviteur de remettre l'arme dans son fourreau. L'épée a déjà tranché. Elle a séparé la mère et son enfant vivant. Elle a séparé les deux mères, emmêlées jusque dans la confusion. Elle a séparé le mensonge et la vérité. Maintenant, c'est la parole qui prend le relais : "Donnez l'enfant à la première des deux femmes : c'est elle qui est la mère". Elle vient d'engendrer son enfant, une seconde fois, devant toute l'assistance, en le sauvant de la mort, grâce à l'intervention de Salomon. Sans même réfléchir, dans l'obéissance à une impulsion intérieure, elle a fait de la violence de l'épée une force de séparation au service de la vie, devenant ainsi l'épouse symbolique de celui qui porte la parole.

Tout Israël apprend le jugement de son roi. Il reconnaît la sagesse divine, chez celui qui sait faire passer de la mort à la vie, en permettant à la violence de faire son travail de séparation au service la vérité.

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UNE DES MATRICES PRINCIPALES DES ETAPES

DE LA CONSTITUTION DU SUJET

 

 

8

DE LA PAROLE A LA RELATION A L'AUTRE
- La parole relie en séparant
- Dans la relation à l'autre, la vie se développe


1

CONFUSION ORIGINELLE
- Relations d'altérité ab-sentes
- Fusion

 

7

NAISSANCE DE LA PAROLE QUI SYMBOLISE LA VIOLENCE
- La force de mort est intégrée comme force de vie dans la parole
- La parole achève la sortie de la confusion


2

LA VIE BLOQUEE
- La vie ne passe pas
- Elle semble retenue par un cordon ombilical non coupé

 

 

9

DE LA RELATION A L'AUTRE A LA RELATION A SOI
- Fin de la constitution du sujet
- Emergence du soi

 

6

LA VIE PROMUE
- Affirmation de la force de vie face à la force de mort
- Intégration de la force de vie


3

LA CONFUSION ENTRAÎNE VERS LA MORT
- Enfermement dans une répétition de mort
- Problème

 

5

PREMIERE SORTIE DE LA CONFUSION AVEC LA MISE A DISTANCE DE LA MORT
- Travail de deuil
- La force de mort agit comme séparateur


4

AFFRONTEMENT A LA FORCE DE MORT
- Cette force de mort se présente sous la forme de la violence
- L'affrontement à la force de mort est une traversée symbolique de la mort

 

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III. Apprendre à jouer avec le modèle

Le modèle présenté est un outil parmi d'autres, qui permet de jouer avec un texte pour en dégager l'interprétation. Très rapidement, nous donnerons la règle du jeu et les différentes étapes qui permettent d'aboutir au résultat recherché.

La règle du jeu

Le texte a toujours la priorité. C'est lui qui constitue l'espace de jeu. Les apports extérieurs ne doivent pas transformer cet espace : ils n'ont de sens que s'ils se soumettent au texte pour trouver la place éventuelle que celui-ci peut leur donner. D'une certaine façon le texte est aussi le maître du jeu. L'animateur lui-même est à son service.

Les différentes étapes


1. La lecture du texte

2. Dégager la structure du récit d'après le modèle

3. L'analyse dans le cadre de la structure du récit en passant d'une étape à l'autre

- Repérer le jeu des mots entre eux
- Leurs corrélations
- Les écarts que ces corrélations révèlent

La structure dégagée est un outil très efficace pour dégager les corrélations

4. Cette analyse permet de dégager la structure des images

A travers les images, le texte donne à voir. Il est nécessaire de passer par le voir avant d'entendre et d'écouter la parole contenue dans le texte

5. L'analyse dans le cadre de la structure des images en passant d'une étape à l'autre

- Repérer le jeu des images entre elles
- Leurs corrélations
- Les écarts que ces corrélations révèlent

6. Cette analyse permet de dégager la structure du sens

Il est nécessaire de passer par l'image pour dégager le sens. Il est également indispensable de voir pour être à même d'écouter ce que dit le texte

7. L'analyse dans le cadre de la structure du sens en passant d'une étape à l'autre

- Repérer le jeu des fragments de sens entre eux
- Leurs corrélations
- Les écarts que ces corrélations révèlent

8. Se dégager de la structure pour opérer un approfondissement et faire apparaître le contenu de sens de la parole qu'il contient

L'analyse précédente doit permettre de dégager la progression du sens et les différentes étapes, à travers lesquelles il se construit et s'articule. Mais cela ne suffit pas : il convient, par un approfondissement ultime, de dépasser la structure pour faire émerger le contenu de sens de la parole qu'il contient.

9. La situation du sujet-lecteur par rapport au texte

Le lecteur a fait un parcours ; il est ainsi amené à la fin à se situer par rapport à un texte qui lui parle

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La figuration des différentes étapes à partir du modèle

Le modèle n'a de valeur ici que pour résumer et mettre en figures les différentes étapes dégagées

 

 

8

APPROFONDISSEMENT ULTIME : FAIRE APPARAÏTRE LE CONTENU DE SENS DE LA PAROLE CONTENU DANS LE TEXTE


1

LA LECTURE ET L'AMORCE DE CONSTITUTION DU SUJET-LECTEUR

 

7

L'ANALYSE DANS LE CADRE DE LA STRUCTURE DU SENS
- Repérer le jeu des fragments de sens entre eux
- Leurs corrélations
- Les écarts que ces corrélations révèlent


2

DEGAGER LA STRUCTURE DU RECIT

 

 

9

LA SITUATION DU SUJET-LECTEUR PAR RAPPORT AU TEXTE
- Le sujet-lecteur est en fin de parcours
- Il doit se situer maintenant par rapport à un texte qui lui parle

 

6

DEGAGER LA STRUCTURE DU SENS


3

L'ANALYSE DANS LE CADRE DE LA STRUCTURE DU RECIT
- Le jeu des mots entre eux
- Leurs corrélations
- Les écarts révélés

 

5

L'ANALYSE DANS LE CADRE DE LA STRUCTURE DES IMAGES
- Le jeu des images entre elles
- Leurs corrélations
- Les écarts révélés


4

DEGAGER LA STRUCTURE DES IMAGES

 

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Conclusion


Comme Le Nom et Le jugement de Salomon, de nombreux mythes et des contes nous apprennent à passer de la violence à la parole pour permettre au sujet de se constituer. C'est ce cheminement fondamental que le modèle d'analyse présenté nous permet de suivre. Nous avons essayé d'en reconstituer une des matrices principales, que nous donnons au terme de cette présentation. Il y a d'autres matrices qui vont illustrer l'intégration de la masculinité, de la féminité et de la différenciation sexuelle (Conte Indien, Hommes et femmes), l'intégration de la sexualité elle-même dans son évolution (Conte chinois, La montagne de la courge), l'intégration du corps dans son ensemble (Conte africain, Le rayon de lune)... Mais la matrice présentée demeure souvent en arrière fond de toutes les autres.

Nous touchons du doigt une des fonctionnalités essentielles du conte et du mythe, celle de nous permettre d'intégrer, à travers la multiplicité des récits proposés, les processus de la vie, de la connaissance, des comportements fondamentaux, pour nous faire passer progressivement de l'animalité à l'humanité. S'organisant autour des matrices principales, chacun a son originalité particulière. Le modèle constitue la gamme et la portée où s'inscrivent les notes : il offre la possibilité à chaque mythe et à chaque conte, depuis des temps très reculés, de jouer sa propre mélodie dans un ensemble qui chante et accompagne la création de l'homme et du monde.

 

 

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