Regards croisés sur la France et la Chine
ZHANG Jinling et Etienne Duval
Après une rencontre à La Croix-Rousse, à Lyon, Etienne Duval et Zhang Jinling, jeune docteur en sociologie, croisent leurs regards sur la Chine et la France. La Chine pourrait nous aider à sortir de notre centralisme occidental.
La voie mystérieuse de la Chine par Etienne Duval
Je suis allé en Chine en 1975. Je faisais partie d'un voyage organisé. Mao Tsé-Toung était encore vivant. Nous avions sillonné une grande partie du pays. Sans doute étions-nous canalisés, dans nos découvertes et nos interrogations, par une équipe de traducteurs mais je persiste à penser que nos observations, nos jugements et même nos émerveillements reposaient sur un fond de réalité. Sans doute avons-nous été victimes d'un endoctrinement qui voilait les aspects les plus sordides du régime d'alors, mais il y avait là une forme de lumière dont je ne suis jamais arrivé à me dégager totalement. Or un petit événement vient de raviver en moi une flamme que je croyais à jamais chancelante...
La rencontre de Jinling
Jinling est chercheur. Il a terminé une thèse de sociologie et
il fait actuellement une étude post-doctorale. Dans une quinzaine de
jours, il rentrera définitivement dans son pays. Il voulait interroger
des Croix-Roussiens pour les faire parler de leur quartier. C'est dans cette
perspective que je l'ai rencontré, il y a une semaine à peine.
Après nos discussions, j'ai obtenu son accord pour que nous publiions
ensemble sur le blog un article concernant la Chine de 2008.
Un échange en profondeur sur la base
de la raison et de l'objectivité
Nous nous sommes installés sur la terrasse de l'un des plus
grands cafés de la Croix-Rousse et Jinling a commencé son entretien
en me posant des questions sur ma conception de la ville et sur les aspects
marquants du quartier. J'étais très heureux qu'il m'engage sur
cette voie car j'ai toujours pensé que la Croix-Rousse renfermait des
secrets pour la réussite d'une politique urbaine. C'est ainsi que nous
avons parlé des nombreux espaces intermédiaires qui permettent
ici aux habitants de respirer : le marché, les cafés, la vogue
même, les places, la Grande rue, le Boulevard… Intéressée,
notre voisine est entrée dans la conversation pour contester mes affirmations
sur les communautés. J'aime bien la controverse et j'aurais eu du plaisir
à l'engager mais ici nous étions en entretien sociologique et
j'ai dû l'amener à un peu plus de distance pour que soient respectées
les règles de la recherche. Avec mon étudiant, ayant moi-même
une formation sociologique, je n'ai eu aucune difficulté à m'entendre
presque parfaitement. C'est là que j'ai compris à quel point la
raison pouvait servir de médiation entre personnes d'origine différente.
Et, sans être forcément d'accord avec moi, Jinling savait, lui,
se mettre à distance pour respecter les exigences de l'objectivité.
Le problème de la liberté
Surpris par la qualité de nos échanges, j'ai eu tout à
coup l'impression de découvrir, chez mon interlocuteur, une liberté
que je n'avais pas perçue à ce point, lors de mon voyage en 1975.
Sans plus d'embarras, je lui pose la question. Non seulement il ne l'esquive
pas mais je crois qu'il l'attendait. Il souriait constamment comme pour me montrer
que mes a priori étaient dépassés depuis longtemps par
la réalité.
Le communisme comme valeur
Là-dessus, il me dit : " Mon village d'origine est tout près
du village de Confucius. Ce grand sage m'a toujours sensibilisé aux valeurs.
Or, pour moi, le communisme n'est plus une politique à appliquer au sens
strict. Il est devenu une valeur, un horizon qui doit guider notre action. "
Le renoncement progressif à l'idéologie
et la libération de la raison
Je comprends alors que l'ouverture que donne l'horizon permet de desserrer l'étau
de l'idéologie, qui asservissait la raison. L'idéologie consiste
à penser le monde en fonction de ma situation et de mes a priori politiques
ou même religieux. Elle tord la réalité au lieu de la révéler.
La raison, par contre, a pour but de me conduire vers la vérité,
à condition toutefois qu'elle n'esquive pas la mort comme elle l'a fait
jusqu'ici en Occident et sans doute ailleurs aussi. La voici donc, en partie
au moins, libérée et promue valeur commune pour que nous puissions
nous entendre, en dépit de l'écart culturel qui nous sépare.
C'est ce que j'expérimente, en tout cas, au cours de tout notre entretien
et j'ai alors le vif sentiment et la joie d'appartenir à une même
humanité.
La reconnaissance de la spécificité
de chaque discipline
La mise à distance de l'idéologie (non sa disparition)
et la libération de la raison aux différents niveaux de la réalité
contribuent à séparer les domaines sans pour autant nier leurs
relations. Politique et économie ont chacune leurs lois propres et la
Chine n'a pas hésité à adopter l'économie de marché
non parce que son fonctionnement est idéal mais parce qu'elle est le
système adopté par la plupart des pays du monde. Les différentes
disciplines scientifiques ont chacune leur territoire et les règles qui
président à leur développement sont les mêmes qu'ailleurs.
C'est ainsi que la recherche ici est en harmonie avec la recherche mondiale.
J'ai retrouvé, chez mon interlocuteur, les mêmes méthodes
qui ont jalonné mon propre parcours sociologique. Il est vrai que Jinling
a pu s'approprier les démarches de la sociologie occidentale puisqu'il
a passé trois ans en France. Mais il n'y a pas chez lui de tension apparente
entre ce qu'il a appris en Chine et ce qu'il découvre dans l'université
française.
Qu'en est-il de l'altérité
?
Le respect du groupe, la solidarité, le sens de l'unité
sont en Chine des valeurs centrales, renforcées par le régime
communiste. Mais les tensions avec le Tibet ne révèlent-elles
pas une difficulté à reconnaître l'autre en particulier
et l'altérité en général ? Contrairement à
l'injonction de Mao Tsé-Toung, qui incitait à marcher sur ses
deux jambes, la Chine n'a pas encore appris à allier unité et
autonomie : unité du pays et autonomie culturelle des provinces. Sans
doute a-t-elle fait des tentatives, mais, en ce qui concerne le Tibet, elle
ne supporte pas une résistance plus que séculaire et s'engage
plutôt dans la voie de l'assimilation. Il semble qu'elle n'ait pas pris
conscience de l'universalité du trésor culturel tibétain,
qui intéresse l'humanité tout entière. Aussi la résistance
du Tibet fait-elle tache d'huile : d'autres pays affichent en ce domaine une
hostilité à la politique chinoise pour préserver un trésor
menacé de disparition.
Un enjeu fondamental : libérer
la structure universelle contenue dans le communisme
Au Tibet, la résistance déjà ancienne au pouvoir central
a forgé le sens de l'altérité et il est probable que le
conte chinois, utilisé à propos du sacrifice, soit en réalité
un conte tibétain. Un jeune paysan qui n'arrivait pas à gagner
sa vie, en dépit d'un travail acharné, était allé
interroger le dieu de l'Ouest pour savoir quelle était la raison d'un
tel dysfonctionnement. La réponse a été la suivante : la
loi de la vie qui est le partage n'est pas respectée, mais pour partager,
il faut apprendre à faire sa place à l'autre. Nous avons là
une structure humaine fondamentale que l'on retrouve dans les grands courants
spirituels : le sacrifice d'Abraham chez les Juifs, la pratique du Ramadan chez
les Musulmans, l'Évangile chez les chrétiens… Or cette structure
universelle semble être le ferment du communisme présent en Chine.
Mais ici, comme autrefois en Union soviétique, elle est prisonnière
parce que l'altérité n'a pas vraiment sa place. Aussi la tension
actuelle pour que soit reconnue l'autonomie culturelle du Tibet pourrait-elle
être d'une extrême fécondité ; elle pourrait amener
à libérer le communisme lui-même en libérant l'altérité.
Lorsque j'ai fait lire à Jinling le conte du paysan chinois, il m'a assuré qu'il se reconnaissait tout à fait dans ce récit. Or cet étudiant est membre du parti communiste chinois.
La Chine, vecteur de fraternité universelle
?
La voie que nous traçons pour la Chine est encore du domaine de l'utopie
mais elle n'est pas complètement illusoire si ce pays arrive à
tenir le paradoxe : sens de l'unité et sens de l'altérité.
Ainsi, contrairement à toutes les conjectures, c'est le Tibet qui pourrait
révéler la Chine à elle-même et l'aider à
devenir un vecteur de fraternité universelle, fondée sur le partage
avec l'autre. Ce pays qui nous étonne par la rapidité et l'ampleur
de son développement économique aurait ainsi la possibilité
d'échapper à la toute-puissance et à la tentation de domination.
Il pourrait aider les autres nations à faire le pas nécessaire
pour affronter la mondialisation dans un sens libérateur.
L'Idéologie contre l'objectivité en France
par ZHANG Jinling
Je suis très heureux d'avoir fait la connaissance de Monsieur Étienne Duval, qui m'a guidé vers une réflexion très profonde pour comprendre la société française. Son blog est très riche de pensées sur l'humanité dans son ensemble. Vu ma connaissance générale et mon niveau de français, je ne fais qu'un texte court pour répondre à son récit sur l'objectivité.
Un travail sur la Croix-Rousse et la société
civile vue par un Chinois
Je fais une étude sur la Croix-Rousse, dont le sujet
traité en général concerne la société civile
française. Il s'agit d'une étude de cas pour comprendre, à
partir d'une perspective chinoise, la citoyenneté dans le contexte français,
en se focalisant sur le quotidien, les interactions sociales à Lyon,
et en particulier sur le quartier Croix-Rousse où portent les travaux
sur le terrain. Cette recherche correspond aux besoins intellectuels de la Chine
d'aujourd'hui, dont fait partie la construction d'une société
civile, qui constitue actuellement une grande polémique en Chine et qui
nécessite une connaissance des conceptions et pratiques des pays occidentaux,
de la France en particulier. Comme les notions, les conceptions et les critères
sociaux occidentaux, et notamment français, ne sont pas nécessairement
universels, la France aurait besoin de connaître la perspective chinoise
sur sa société.
Le point de vue d'un Chinois peut aider
les Français à se comprendre
Il convient de mettre l'accent sur l'importance de cette nouvelle tendance de
production de connaissances intellectuelles dont le monde scientifique chinois
prend l'initiative pour comprendre les sociétés occidentales en
réalisant des recherches sur place. La Chine a besoin de l'expérience
de la France pour son développement social, de même la France peut
se servir de la perspective chinoise pour se reconnaître dans un nouveau
contexte. C'est la tâche des chercheurs français et chinois à
laquelle je m'engage en tant que jeune chercheur chinois pour développer
et favoriser les liens entre la France et la Chine.
Mais qu'est-ce que c'est la perspective chinoise ? Je n'arrive pas à
la définir, mais il s'agit avant tout de la perspective de moi-même,
en tant qu'anthropologue chinois ayant grandi dans le contexte chinois. La réflexion
dans la recherche scientifique est un peu personnelle, mais il est difficile
pour moi de ne pas percevoir des choses à partir de mes expériences
chinoises.
Une idéologie de centralisme occidental
Pendant mon travail sur les terrains, j'entretenais beaucoup de Lyonnais, surtout
des Croix-Roussiens, mais parfois, au lieu de poser des questions aux gens,
je me faisais poser des questions concernant la Chine par ceux qui sont soit
intéressés à la Chine, soit très peu connaisseurs
de la Chine mais impatients de la connaître par un intermédiaire
; il y avait aussi ceux qui n'aimaient pas beaucoup la Chine mais qui essayaient
de convaincre un Chinois pour que ce dernier reconnaisse que la Chine mérite
toutes critiques par l'Occident.
Bien sûr on ne peut évidemment pas dire que tous les Occidentaux
ont tort en critiquant la Chine, et qu'ils sont sinophobes, mais il s'agit,
franchement dans ce genre de critique, d'une idéologie de centralisme
occidental.
Une discussion avec la directrice d'un
magasin de La Part-Dieu
En ce qui concerne l'objectivité au niveau des inter-perceptions entre
les peuples chinois et français, je voudrais dire quelque chose.
Je me souviens bien d'une histoire qui m'est arrivée. En avril dernier,
quand j'ai passé un jour dans un magasin du centre commercial à
la Part-Dieu, la responsable du magasin m'a demandé d'où je venais.
Après avoir su que j'étais chinois et de Pékin, elle m'a
fait part de l' appréciation de son voyage à Pékin en disant
que c'est une belle ville, et ensuite m'a demandé si elle pouvait me
poser quelques questions. Un peu hésitant, car je ne savais pas de quelles
questions il s'agissait, je ne lui ai pas répondu tout de suite. Ayant
bien aperçu mon hésitation, elle m'a dit qu'elle voulait seulement
connaître un peu les points de vue d'un Chinois sur ce qui se passait
en ce moment-là entre la Chine et la France, qu'elle voulait aussi avoir
des informations par des moyens autre que la presse française. Avant
que je ne lui aie dit oui, elle m'a posé la première question
: " Pourquoi les jeunes Chinois veulent boycotter Carrefour en Chine ?
" Je lui ai dit :
" Madame, comme vous le voyez, je suis en France, je ne sais pas grand
chose sur cette affaire. Il est difficile de vous répondre.
- Oui, je sais, mais je voudrais savoir ce que vous en pensez.
- D'accord, mais ce que je vais vous dire est très personnel, il ne faut
pas le généraliser.
- Oui, bien sûr. "
- Comme vous le savez, c'est vrai qu'il y a de jeunes Chinois qui font actuellement
un appel sur Internet pour boycotter Carrefour. Toute cette histoire se rattache
à l'histoire de Paris en mars quand la flamme olympique passait. Vous
savez bien ce qui s'est passé.
- Oui, mais ce n'est pas la volonté des tous les Français.
- Vous avez raison. Mais la sécurité n'a pas été
bien garantie par le gouvernement français. C'était à Paris,
capitale de la France, qui avait fondé en premier une relation diplomatique
avec la nouvelle Chine. Chez les Chinois, la France, les Français sont
nos meilleurs amis. Imaginez qu'un jour, votre meilleur ami vous fasse quelque
chose comme ça, qu'en pensez-vous ? "
Il me semblait que la responsable avait compris quelque chose. Elle continuait
de m'interroger.
" Alors, il y a d'autres choses ?
- Oui, c'est un peu difficile de l'expliquer de ma part. Comme vous le savez
par la presse, Monsieur le président de la France a fait connaître
son attitude contre la Chine, pour des raisons qu'on ne connaît publiquement
vraiment pas, en prétendant ne pas aller à Pékin pour la
cérémonie d'ouverture des JO. Mais il incombe au Comité
olympique de chaque pays d'inviter le chef d'État du pays, qui y participe,
à encourager les sportifs, pour présenter son pays. La Chine n'a
pas l'obligation d'inviter le président français, mais s'il vient,
il sera bien accueilli par la Chine. "
La responsable a acquiescé d'un signe de tête, en disant : "
Mais ce n'est pas suffisant comme raisons pour que les Chinois boycottent Carrefour.
- C'est vrai qu'il y a de jeunes chinois qui ont proposé de boycotter
Carrefour, mais il ne faut pas généraliser ; sachez que cette
affaire est controversée en Chine, qu'il y a beaucoup de chinois qui
sont contre. Personnellement je comprends tout à fait ce qu'en pensent
les jeunes qui sont pour, ils veulent seulement que les Français sachent
qu'ils ne sont pas contents du tout de ce que le gouvernement français
a fait et du comportement de certains français. Comme le boycott est
proposé pour le mois de mai, je ne pense pas qu'il se mette bien en place."
[NB: Je suis allé le 7 mai, le jour prévu pour le démarrage
du boycott, avec deux amis Français à moi, au Carrefour de mon
quartier de Pékin ; on a vu beaucoup de clients. Et le personnel de Carrefour
nous a confirmé la fréquence de la clientèle comme avant.]
" Je comprends, mais pourquoi ne boycottent-ils pas un supermarché
anglais ? Vous auriez dû le faire.
- On n'a pas de supermarché anglais en Chine. Saviez-vous qu'il y a au
moins 7 Carrefour, hyper grands, au centre ville de Pékin ? C'est à
dire qu'on avait accepté Carrefour et donné la priorité
à la France, notre meilleur ami... "
Avant que je n'aie terminé, la responsable m'a laissé regarder
les produits du magasin en me disant qu'elle avait d'autres choses à
faire.
Des a priori sur la Chine qui vont
contre l'objectivité scientifique
Je suis content d'avoir rencontré cette Française, car elle m'a
fait part de sa volonté de collecter des informations par des moyens
autres que la presse occidentale, qui se sert surtout des Occidentaux comme
source principale d'informations, et qui fonctionne dans une logique parfois
très idéologisée pour parler de la Chine, et qui ne reconnaît
parfois pas la manipulation dans son reportage.
En mai, je suis retourné à Pékin avec mes collègues
français, qui sont venus pour la collaboration universitaire. Un soir,
on est tous invités par un professeur dans un restaurant. Ayant su que
je faisais une étude sur la France, une prof travaillant sur la philosophie
française m'a demandé ce que je pensais de la perception des Français
sur l'actualité entre les deux pays d'après mes propres expériences
sur place à Lyon. Je lui ai dit que " tous les Français n'arriveront
pas à connaître une vraie Chine s'ils continuent de capitaliser
leurs informations sur la Chine d'après la presse française. Ils
ne connaissent pas tous la réalité dans les affaires depuis mars.
Mais, il y a des gens qui ont déjà pris conscience qu'il fallait
connaître la Chine par d'autres moyens que la presse française.
" Pour témoigner ce que j'ai dit, j'ai raconté mon histoire
avec la directrice d'un magasin de La Part-Dieu. Tous ceux qui étaient
autour de la table ce soir-là ont approuvé de la tête ce
que j'avais perçu à travers cette histoire.
Mais ce que je n'ai pas anticipé, c'est que deux jours plus tard, un
de mes collègues qui était présent ce soir-là s'est
trouvé fâché contre moi, lorsqu'on visitait mon université,
en me demandant que : " Pourquoi tu as critiqué la France par cette
histoire? " Vu sa mine de colère, cette parole a failli me faire
tomber par terre. J'en suis surpris, ce n'est pas parce que j'ai peur de lui,
mais à cause de son attitude. Je lui ai expliqué mes points de
vue à partir desquels j'ai raconté cette histoire, mais il ne
voulait pas m'entendre.
Il continuait de me questionner : " Tu as fait tes études chez nous,
mais je n'ai jamais vu que tu critiquais la Chine ! Pourquoi ? Ce n'est pas
scientifique si tu ne la critiques pas puisque tu es chercheur en sciences sociales.
" Sa parole m'a bouché la gorge à ce moment-là que
je n'arrivais pas à respirer.
Un bon moment plus tard, je me suis retrouvé, et lui ai dit :
" Est-ce que tu connais tout ce que j'ai fait dans mon travail de recherche
? J'ai beaucoup critiqué la corruption en Chine, est-ce que tu le connais
? Qu'est-ce que ça veut dire être scientifique ? Ça veut
dire qu'il faut critiquer la Chine ? Je connais mon pays, je le critique pour
qu'il se dirige vers le mieux. Faut-il tomber dans votre idéologie pour
être scientifique, être critique de la Chine ? "
" Le gouvernement chinois est criminel ! Il faut le critiquer ! "
" Est-ce que tu es scientifique quand tu dit ça ?! "
Encore un bon moment, ce collègue m'a dit, " d'accord, j'admets
ce que j'ai dit tout à l'heure est un jugement, pas scientifique, mais
la Chine mérite nos critiques. "
....
Pour bien connaître un pays, il faut
accepter de se décentrer
Je ne veux plus continuer de raconter cette histoire, qui me rend très
triste. Mais ce que je veux dire encore, c'est que ce collègue à
moi, est un jeune sinologue, qui prétend bien connaître la Chine,
qui est maître de conférences et chargé de cours sur les
cultures, civilisation, société chinoises. Je n'ai jamais assisté
à ses cours, mais je n'aurais pas supporté ce qu'il dit, s'il
l'avait exprimé à des élèves français. Mon
dialogue avec ce collègue m'a fait affirmer une logique très remarquée
sur le centralisme occidental dans le monde de recherche en France. Je m'inquiète
beaucoup de ce qu'obtiendront les jeunes français comme connaissance
sur la Chine par ce genre de prof à la fac.
Être sinologue ne veut pas dire qu'il faut s'identifier aux valeurs chinoises,
mais avant de critiquer la Chine, il faut bien la comprendre en se mettant dans
le contexte chinois. Il n'y a que ceux qui se plongent au plus profond de la
mer qui peuvent dire la profondeur de la mer, qui ont le " droit "
de la dire.
Et bien sûr, être jeune chercheur, je risque de mal comprendre la
société française. C'est pour faire le mieux dans ma connaissance
sur la France que je fais baser mon travail de recherche sur deux points au
niveau de la méthodologie : observation en participant, pour accéder
au " score " de la vie sociale ; entretien avec des gens locaux, pour
connaître ce que pensent les habitants du quartier eux-mêmes. C'est
dans ce sens que j'ai rencontré Monsieur Étienne Duval, que j'ai
passé beaucoup de temps à la Croix-Rousse, que j'aime beaucoup,
où je me lie d'amitié avec beaucoup de Croix-Roussiens.