Une leçon d'architecture

ou un voyage initiatique avec Le Corbusier





Couvent de La Tourette construit par Le Corbusier

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Une leçon d'architecture ou un voyage initiatique avec Le Corbusier


Pierre Boulais et Luc Moreau viennent de publier un nouveau livre sur le couvent dominicain de La Tourette, construit par Le Corbusier. Il s'intitule La Tourette, un couvent de La Corbusier. Luc Moreau a pris les photos et Pierre Boulais leur a donné la parole en utilisant les textes du maître. Ayant pris un grand plaisir à parcourir cet ouvrage, je voudrais suivre la parcours initiatique de l'architecte dans ses créations, en m'appuyant sur les parties de texte et les paroles spontanées de l'artiste que Pierre Boulais a retenues.


Le retour au mythe avec les dieux et le sens du sacré

Le Corbusier sait que toute création s'articule sur la genèse du monde. S'appuyant sur le mythe, il prend contact avec la main invisible qui fait exister l'Univers. Les dieux sont avec lui et, pour le signifier, il parle parfois à la première personne du pluriel : " Puis nous avons dit, le cloître doit être en bas… "

Derrière les murs du couvent, les dieux jouent.

L'homme qui recherche l'harmonie a le sens du sacré. Il est des choses qu'on n'a pas le droit de violer : le secret qui est en chaque être - ce grand arbre illimité où l'on peut loger ou ne pas loger sa propre notion du sacré - individuelle, totalement individuelle. Cela s'appelle aussi la conscience…

Comme à l'origine, l'architecte est au pied de l'arbre de la vie et de la connaissance.


Tricoter les rapports entre les dieux et les hommes

Récemment une femme, originaire d'Auxerre, est venue avec son mari à Lyon pour assister au café philosophique que nous organisons autour des mythes et des Mille et Une Nuits. Elle vibrait avec une intensité étonnante aux grands textes symboliques. Elle avait exercé son métier dans la Haute Couture mais n'hésitait pas à s'astreindre aux menus travaux de la retouche. Aujourd'hui, elle redécoupe en artiste les habits rétrécis comme si elle cherchait sans cesse à assembler le ciel et la terre.

L'architecte est lui aussi dans la couture et le tricotage, qui vont permettre d'unir les dieux et les hommes.

La vocation architecturale, c'est comme la vocation religieuse : c'est croire, se donner, se consacrer…

De fil en aiguille, vous finissez par tricoter quelque chose ; je dis tricoter parce que ça veut dire que toutes choses sont l'une dans l'autre, l'une impliquant l'autre.

La maison, fille du soleil, qui descend du ciel

Le soleil est en perpétuelle gestation. Image du dieu créateur, comme Atoum en Égypte, il façonne le monde avec les rayons, qui sortent de son sein. Il appartient à l'architecte de jouer avec lui pour composer une symphonie architecturale.

Une symphonie architecturale s'apprête sous ce titre : " La maison fille du soleil ".

(Pour le couvent de La Tourette), les lieux ont dicté l'architecture… Le terrain était très en pente, un vallon qui descend vert sur la plaine et entouré de forêts… Prenons l'assiette en haut à l'horizontale du bâtiment, au sommet, laquelle composera avec l'horizon… L'édifice a été conçu par le haut, sa composition commence par la ligne de toiture, grande horizontale générale : petit à petit, il détermine son organisme en descente, et touche le sol comme il peut par le moyen des pilotis.


Des ombres qui jouent avec la lumière

La lumière a besoin de l'ombre, comme le jour a besoin de la nuit. Le désir lui-même ne peut vivre sans la présence du manque. Il faut élargir et creuser le vase du désir pour qu'il puisse déborder de la générosité de la vie. L'ombre appelle la lumière et la lumière se repose à l'ombre. C'est l'habileté à favoriser un tel jeu de cache-cache et de séduction, qui peut faire le grand architecte.

Je compose avec la lumière.

Observez le jeu des ombres, jouez le jeu… ombres propres, nettes ou fondues, ombres portées, aiguës, rigueur du tracé mais arabesque ou découpage si ensorcelant ! Contrepoint et fugue… musique.

Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière ; les ombres et les clairs révèlent les formes. Les cubes, les cônes, les cylindres ou les pyramides sont les grandes formes primaires que la lumière révèle bien.


Le regard qui passe sous la maison

Les pilotis soulèvent la maison pour laisser passer la vie, faite d'ombres et de lumières. Le bâtiment décolle de terre pour se transformer, au fil de la construction, en un immense bateau, prêt à entraîner les habitants vers des destinations inconnues. Pour le moment, le regard se faufile entre les piliers…

Avec les pilotis, le regard passe sous la maison.

Laissez pousser le lierre… Créez des circulations.

L'architecture : une chose qui se marche.

La galère vogue, les voix chantent à bord. Comme tout devient étrange et se transpose, se transporte haut et se réfléchit sur le plan de l'allégresse.


Sur les planchers éclairés, la grande liberté des volumes et des proportions

Les pilotis viennent libérer l'espace. Plus de murs porteurs pour imposer leurs contraintes. Sur les planchers éclairés, les volumes jouent avec l'espace et avec les proportions. La croix avec ses angles droits organise l'ensemble symphonique, et un centre de gravité, tel un chef d'orchestre, fait jouer entre eux volumes et proportions.

L'architecture : c'est des planchers éclairés.

L'architecture est le jeu correct, savant et magnifique des volumes assemblés sous la lumière.

J'ai imaginé les formes, les contacts, les circuits qu'il fallait pour que la prière, la liturgie, la méditation se trouvent à l'aise dans la maison.

Puis nous avons dit, le cloître doit être en bas : alors, au lieu de mettre des arcades dessous, dans l'ombre et horizontales…, j'ai pensé : laissons couler la terre où elle, puis mettons un cloître qui soit en croix au lieu d'être en anneau. Pourquoi pas ?

Bravo ! Les proportions regardent le centre.


L'union de la rationalité et de la poésie, et la mélodie des arts

La rationalité, faite d'une extrême rigueur, convoque à sa table la poésie qui libère la création. L'union des contraires constitue l'ordre symbolique en architecture comme dans le langage. Sans elle, le bâtiment resterait muet et serait donc privé de la parole. Et pour donner toute son extension aux échanges de la communication et réveiller le sens du beau chez les habitants, Le Corbusier compose une mélodie des arts en invitant, avec la poésie, la musique, la sculpture, la peinture, sous le regard du modulor.

Tout chantonne ensemble sensibilité, rigueur, invention.

Modulor : faire de l'architecture un prolongement d'homme, un contenant d'homme.

L'architecture, c'est comme la musique, il faut des silences. L'architecture est une suite d'événements visuels, comme la musique est une suite d'événements sonores. Le profil architectural est une mélodie bâtie. Goethe disait : " L'architecture, c'est une musique pétrifiée ".

Pan de verre ondulatoire, belle invention ! Joie qui récompense de bien des douleurs.

Cette mise au point de pans de verre a été faite par Xenakis. Sa partition musicale " Les metastasis " pour orchestre avec 65 exécutants composée avec le Modulor, trouve ici sa transposition visuelle en rythmes et espaces correspondants.

Mon béton est beau, il faut seulement le réveiller avec des couleurs fortes.

Noir, rouge, bleu, jaune, blanc… les couleurs sont un coup de clairon dans l'architecture.

Mais où commence la sculpture, où commence la peinture, où commence l'architecture ? Tout n'est qu'unité dans le corps de l'événement plastique : architecture, peinture, sculpture composent la synthèse des arts majeurs.

Le jeu de la mort et de la vie

Dans les bâtiments de Le Corbusier, mort et vie sont en constante interaction. Se cachant sous l'ombre et la lumière, elles se manifestent avec une violence explosive dans le couvent de La Tourette. L'église en effet est un immense utérus et un énorme tombeau comme l'Univers lui-même. Ici les lois de la nature rejoignent le mystère de la Résurrection. C'est le monde, en son entier, qui engendre l'homme nouveau. Au centre de gravité, le grand autel blanc est le lieu où l'homme et Dieu échangent leur nature pour que la mort, à tout jamais, devienne le moment même de l'explosion de la vie. A quelques mètres, un peu à l'écart, un espace éclairé par d'immenses canons de lumière offre un lieu protégé à l'homme nouveau qui vient de naître ; des couleurs vives se penchent sur le petit autel-berceau comme les mages de la crèche.

C'est avec l'autel que le centre de gravité est marqué ainsi que la valeur, la hiérarchie des choses.

L'autel, c'est le diapason qui donne le la.

Le lieu sacré par excellence, il déclanche le rayonnement de l'œuvre. Cela est préparé par la proportion, la proportion est une chose ineffable.


L'espace indicible ou la rencontre avec le mystère

L'architecture est faite pour nous conduire jusqu'au mystère. L'homme se tait, la parole n'a plus sa place. L'être tout entier entre dans la contemplation.

Lorsqu'une œuvre est à son maximum d'intensité, de proportion, de qualité, d'exécution, il se produit un phénomène " d'espace indicible ". Les lieux se mettent à rayonner, physiquement ils rayonnent. Ils déterminent ce que j'appelle " l'espace indicible ", c'est-à-dire un choc qui dépend de la qualité de réflexion, c'est du domaine de l'ineffable.

Etienne Duval, le 23 juin 2009

 

Le très beau livre de Pierre Boulais et Luc Moreau " La Tourette, Un couvent de Le Corbusier " peut être obtenu auprès de :

Pierre-Etienne Boulais, B.P. N° 26, 38 660 LE TOUVET

Prix du livre : 27 €
Prix du port : 6€

 

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