L'étoile du matin et rossignol




Rossignol

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L'étoile du matin et rossignol


Haute, bien haute est la Montagne des Nuages.
Aucun chemin n'y conduit.
Devant elle, se dressent deux rocs immuables
Et, au pied de chacun d'eux, sourd une petite source mince d'eau cristalline.
Les sources coulent, serpentent à travers la région
Comme deux rubans d'argent,
Pour se réunir dans un pré et former un ruisseau.

Jadis vivaient, en cet endroit, une belle jeune fille et un beau garçon.
La jeune fille s'appelait Etoile du matin.
Elle avait un visage charmant et frais comme la rosée du matin
Et sa voix était si douce qu'elle caressait comme une plume d'oisillon.
Qui l'entendait oubliait aussitôt tous ses tracas, tous ses chagrins.

Le garçon s'appelait Rossignol.
C'était un jeune homme au cœur pur comme le cristal
Et, dans son noble visage, ses yeux brillaient comme deux diamants.
Dès qu'il portait sa flûte aux lèvres, les oiseaux se taisaient
Et les gens restaient comme enchantés.
Etoile du matin et Rossignol s'aimaient et ne pouvaient vivre l'un sans l'autre.
Où l'on entendait le son de clarine de la flûte de Rossignol,
De là s'élevait aussitôt le doux chant d'Etoile du matin.

Au cours d'un été, une grande sécheresse s'abattit sur la région.
Les arbres jaunissaient, se desséchaient
Et, dans les puits, il restait à peine quelques gouttes d'eau.

Alors, pour la première fois, se turent les sons cristallins de la flûte
Et le doux chant de la jeune fille ne se fit plus entendre.
Un jour, Etoile du matin et Rossignol se rendirent dans la montagne,
Comme ils le faisaient souvent, pour y cueillir des herbes médicinales.
A leurs pieds, s'étiolaient de maigres petits champs tout jaunis
Et la terre crevassée réclamait de l'eau.
La vue de cette pitoyable campagne serra le cœur d'Etoile du matin et de Rossignol.

" Etoile du matin, ma mie, dit Rossignol,
Si nous essayions de creuser un puits ? "
Etoile du matin fit un signe d'assentiment
Et tous deux se mirent à la tâche.
Coup après coup, la pioche sonnait sur la terre durcie comme sur du caillou.
Ils creusaient et creusaient encore,
Quand tout à coup bondit, hors du trou,
Une grenouille jaune avec un ruban vert au cou.
" Ceci est mon royaume, déclara-t-elle, ne venez pas creuser par ici !
Si vous m'écoutez, je vous dirai comment trouver de l'eau.
Là-bas, à la base de la Montagne des Nuages,
Se trouve un énorme rocher dans les fentes duquel s'accroche un arbre épineux.
Si vous vous servez de ses drageons pour grimper jusqu'au sommet de la montagne,
Là-haut vous trouverez un vieillard vêtu de bure,
Avec une longue barbe blanche et de longs cheveux tout ébouriffés.
Il vous attend afin que vous l'aidiez à tresser ses cheveux en deux nattes.
Quand vous l'aurez fait, il vous demandera quelle récompense vous souhaitez.
Dites-lui que vous ne voulez rien d'autre que de l'eau.
Si lui ne vous vient pas en aide, je ne sais qui pourrait le faire ! "

Plus vite que le vent, Etoile du matin et Rossignol
Coururent vers la Montagne des Nuages.
Mais quand ils atteignirent sa base, ils furent en proie au désespoir.
La montagne se dressait sévère et muette, inaccessible.
Devant Etoile du matin et Rossignol, il y avait une falaise verticale et lisse,
Sans la moindre petite saillie où le pied pût se poser.
Ils marchèrent à la base de la falaise, cherchant un éventuel passage.
Soudain, devant eux, ils virent un gigantesque rocher,
Dans les fissures duquel poussait un arbre épineux, qui grimpait à perte de vue,
Au sommet de la Montagne des Nuages.
" Nous n'arriverons jamais là-haut, soupira Etoile du matin,
En voyant les drageons pleins d'épines pointues comme des aiguilles.
- N'aie pas peur dit Rossignol.
Accroche-toi à ma taille, je vais grimper, tiens-toi bien ! "
Etoile du matin ceintura Rossignol de ses bras
Et le jeune homme entreprit de grimper le long des rejets épineux,
Vers le sommet de la Montagne des Nuages.
Les épines lui entraient profondément dans ses mains,
Mais Rossignol ne prenait pas garde à la douleur physique.

Cette ascension dura longtemps, mais enfin, épuisé,
Rossignol arriva en haut, avec sa compagne.
Ils virent tout de suite arriver vers eux un vieillard aux cheveux d'argent.
Sa barbe fleurie lui descendait au-dessous de la taille
Et ses cheveux, tout emmêlés, lui tombaient jusqu'aux pieds, touchant la terre.
" C'est bien que vous soyez venus, dit le vieillard.
Depuis toujours, j'attends que quelqu'un vienne m'aider
A tresser mes cheveux en deux nattes.
- Nous allons vous aider bien volontiers, grand-père, dit Rossignol. "
Les deux jeunes gens se mirent tout de suite à l'œuvre.
Ils avaient les mains engourdies de tresser si longtemps.
Mais, enfin, au lieu de longs cheveux emmêlés tombant jusqu'à ses pieds,
Le vieillard avait, maintenant, deux belles nattes d'argent.
" Que désirez-vous comme récompense ? leur demanda le vieillard, fort satisfait.
J'accomplirai votre vœu, quel qu'il soit.
- Grand-père, dit Rossignol, nous n'aspirons qu'à une seule chose :
Donnez-nous de l'eau !
Une grande sécheresse accable notre région.
Le blé se dessèche, l'herbe jaunit et les gens meurent de soif.
- Oui, vous pouvez avoir de l'eau, dit le vieillard.
Je vais vous aider, mais je ne sais pas si vous aurez assez de courage.
- Dites-nous ce que nous devons faire, nous n'aurons peur de rien,
Répondirent Rossignol et Etoile du matin d'une seule et même voix. "
Le vieillard porta la main à son oreille
Et en retira une perle noire brillante.
" Prenez cette perle, expliqua le vieillard, et retournez dans la vallée.
Là, à l'endroit que vous choisirez pour y faire jaillir l'eau,
L'un de vous deux doit avaler cette perle.
Dès qu'il l'aura fait, il se changera en un roc
A la base duquel jaillira une source
Qui jamais ne tarira et qui sauvera vos compatriotes.
Maintenant, adieu, et, si vous avez encore besoin de moi, un jour,
Il vous suffira de frapper trois petits coups sur la falaise de la Montagne des Nuages. "

Etoile du matin et Rossignol se regardaient, bien tristement,
Car il leur fallait se séparer.
Mais la pensée de la souffrance des gens leur donna du courage.
En silence, ils tendirent, tous les deux, la main, pour recevoir la perle noire,
Mais ce fut Rossignol qui fut le plus rapide.
Il saisit le premier la perle et la cacha sous sa chemise.
" Maintenant, allez, dit le vieillard.
Il leur tendit à chacun une de ses nattes argentées.
Etoile du matin et Rossignol en saisirent chacun un bout
Et, à l'instant, les deux nattes sifflaient dans les airs,
En direction de la base de la falaise.
Le monde tournoyait autour des deux jeunes gens.
Le vent leur hurlait aux oreilles.
Mais, avant qu'ils eussent le temps d'avoir vraiment peur,
Ils sentirent, sous leurs pieds, la terre ferme, au pied de la Montagne des Nuages.
Ils n'étaient pas encore revenus de leur surprise
Que les nattes remontaient dans les airs et disparaissaient dans les hauteurs.

Rossignol plongea la main, sous sa chemise et en sortit la perle noire.
Les larmes aux yeux, ils se contemplaient longuement l'un l'autre.
" Donne-la-moi, pria doucement Etoile du matin.
- Non, répondit Rossignol. "
Ils commencèrent alors à se disputer la perle,
Mais enfin c'est Rossignol, qui parvint à la garder.

Il la mit vite dans sa bouche
Et, déjà, Etoile du matin voyait, impuissante,
Son fidèle ami se changer en un roc muet.
Et, merveille des merveilles, à la base du roc,
Commençait à sourdre un filet d'eau claire et fraîche.
" Rossignol, Rossignol, que vais-je devenir, sans toi ? "
Se lamentait Etoile du matin, en serrant dans ses bras la froide pierre.
Ses larmes étaient vaines ; le roc ne pouvait répondre.
Elle s'assit, à son pied, se prenant la tête dans les mains,
Ne pensant qu'à une seule chose : comment se changer elle aussi en roc.
Soudain, elle eut une idée.
Elle sauta sur ses pieds et vite elle courut vers la falaise.
Elle frappa trois petits coups dessus.
Un bruit se fit autour d'elle, venant d'en haut.
Les deux nattes d'argent venaient de tomber vers la jeune fille.
Elle s'en saisit et s'en aida pour grimper, grimper,
Jusqu'à émerger à la surface de la haute falaise.
" Pourquoi es-tu revenue, mon enfant ? lui demanda le vieillard, d'un air aimable.
- Grand-père, dit Etoile du matin, regardez cette malheureuse contrée assoiffée,
Une seule source ne suffira pas à l'abreuver.
Je vous en supplie, donnez-moi encore une perle,
Afin que je me change aussi en rocher
A la base duquel jaillira une source qui ne tarira jamais. "
Le vieillard hésita un instant, puis, tout ému, il lui répondit :
" Je vais exaucer ta prière et te donner cette perle, Etoile du matin. "
Ayant dit cela, il porta la main à son oreille droite
Et en retira une brillante perle blanche qu'il donna à la jeune fille.

Etoile du matin remercia, saisit une natte, sentit l'air siffler autour d'elle
Et se retrouva, presque sans savoir comment, au pied de la falaise,
Tout près de l'endroit où se dressait le roc en lequel s'était changé Rossignol.
" Jamais, je ne t'abandonnerai, nous resterons ensemble pour l'éternité, "
Dit, de sa voix suave, la belle Etoile du matin.
Et elle porta la perle blanche à sa bouche.
Au même instant, elle se pétrifia.
Là, où naguère ne se dressait qu'un seul roc, il y en a maintenant deux, côte à côte,
S'appuyant un peu l'un sur l'autre,
Muets et contemplant le paysage qui s'étale à leurs pieds.
De la base de chacun des deux rocs, jaillit une mince source claire,
Dont l'une chante de la même voix que la belle Etoile du matin,
Et l'autre sonne comme la flûte enchanteresse de Rossignol.
Et voyez ! Partout où les deux filets d'eau coulent,
L'herbe s'est remise à verdir, le blé s'est redressé,
La terre entière a retrouvé la vie.

" L'eau ! l'eau ! criaient joyeusement les gens. "
Tous sortirent de leurs maisons, se jetèrent au sol
Et burent avidement les premières gorgées d'eau fraîche.


" D'où vient cette eau , se demandaient les gens.
- Vous n'avez pas l'impression, dit soudain quelqu'un,
D'entendre retentir dans cette eau la flûte de Rossignol
Et que l'on peut aussi y reconnaître la voix d'Etoile du matin ? "
Les gens prêtèrent l'oreille et, vraiment, dans les sons prolongés de la flûte,
Se mélangeaient des échos de la voix si souvent entendue au village.
" Où sont-ils, Rossignol et Etoile du matin ? s'étonna soudain un autre. "
Les gens furent empreints d'une certaine angoisse.
Est-ce qu'il leur serait arrivé quelque chose ?

Ils se mirent tous à la recherche des deux disparus.
Ils suivirent les deux petits filets d'eau et remontèrent ainsi jusqu'aux deux rocs,
Ayant l'air de deux silhouettes humaines,
Et qui, jamais, ne s'étaient trouvés là auparavant.
Les gens restaient figés de stupeur.
De l'un des rocs, venait vers eux le regard des yeux brillants de Rossignol
Et, de l'autre, le sourire ineffable de la belle Etoile du matin.
Les gens souffraient, à la vue de ces deux amoureux changés en pierre.
Et, désormais, plus personne ne rencontra jamais
La belle jeune fille ni le beau jeune homme.
Seules, les sources jaillissant au pied des deux rocs rappelaient leur souvenir.
Deux sources qui jamais n'ont tari, comme jamais n'ont abandonné le village
Le son de flûte de Rossignol et celui de la douce voix d'Etoile du matin.
(Conte Tchouang, Contes du Tibet, Gründ,1991)

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Analyse d'Etoile du matin et rossignol