Chahriyâr trompé par sa femme




Chahrazade

http://belly-danceuse.skyrock.com/3.html


Chahriyâr trompé par sa femme

On servit le dîner. Chahriyâr et son frère Chahzamane mangèrent et burent. Chahzamane manifesta, de son côté, un fort bon appétit. Et il fit de même les jours suivants, honorant de grand cœur chaque repas. Les soucis l'avaient quitté, les couleurs étaient revenues sur son visage, il avait retrouvé son esprit d'initiative, le sang circulait à nouveau avec force dans ses veines. Il reprit son teint rosé d'autrefois et recouvra la santé, une santé aussi bonne et même plus resplendissante encore que celle dont il avait pu jouir précédemment.

Le roi Chahriyâr ne pouvait s'empêcher de prendre acte de cette transformation, comparant l'état présent de son frère avec la faiblesse qui paralysait celui-ci avant le départ pour la chasse. Il garda d'abord ses observations pour lui ; puis un jour, ne pouvant plus résister aux élans de sa curiosité, il prit à part Chahzamane et lui dit : " Ô mon frère, je voudrais que tu m'aides à dissiper un souci qui m'importune. Réponds, en toute franchise, à la question que je vais te poser. - Que désires-tu savoir, ô mon frère ? demanda Chahzamane. - Je te voyais jusque là dans un état lamentable. Chaque jour qui s'écoulait te laissait plus maigre et plus affaibli ; ta langueur, ton visage méconnaissable, ta pâleur et ta faiblesse chronique m'incitaient à croire que la cause de tes souffrances résidait dans le fait que tu vivais séparé de ta famille, loin de ton royaume. Je m'étais gardé de t'importuner par mes questions à ce sujet, et chaque fois que je constatais un nouveau dépérissement, une détérioration nouvelle de ta santé, je me forçais davantage à ne pas t'en parler. Lorsque je suis revenu de la chasse, je t'ai revu dans un état bien meilleur et je me suis aperçu que tu avais repris des couleurs. J'aimerais que tu m'expliques ce qui t'est advenu et que tu m'avoues la cause de ce qui te tourmentait lors de ton arrivée chez moi…, la cause aussi du spectaculaire rétablissement de tes forces et du retour de ces belles couleurs sur ton visage. Ne me cache rien, révèle-moi tout ce qui s'est passé.

Lorsque Chahzamane entendit ce discours du roi Chahriyâr, baissant les yeux, il fixa le sol du regard et dit : " Pour ce qui est de te révéler la cause du rétablissement de ma santé, je ne puis le faire. Je souhaite donc que tu me dispenses de répondre à ta seconde question ".

Ces mots remplirent le sultan d'un grand étonnement et les flammes d'une curiosité intense s'allumèrent dans son cœur. " Il faut absolument que tu me racontes cela aussi, insista-t-il ; mais si tu veux, parle-moi d'abord du premier changement qui s'est opéré en toi. " Alors Chahzamane lui fit part de l'infortune qui l'avait frappé, le jour même de son départ. Il lui raconta tout, du commencement jusqu'à la fin. " Ô roi du temps, conclut-il, chaque fois que je me rappelais ce qui m'était advenu et le malheur qui m'avait atteint, je sombrais sous l'emprise des soucis, de l'angoisse et de l'obsession. Telle est la seule cause de l'état où tu m'as trouvé d'abord.

Il s'arrêta de parler et le roi Chahriyâr hocha la tête en constatant, avec une stupéfaction extrême, combien les femmes sont rusées. Il invoqua le secours de Dieu contre les catastrophes qu'elles peuvent provoquer et dit : " Par Dieu, ô mon frère, tu as bien agi en tuant ta femme et son amant. Et tu es parfaitement excusable d'avoir cédé aux soucis au point d'en perdre la santé. Je crois bien que ce qui t'est advenu n'est arrivé à personne d'autre en ce monde. Par Dieu ! Si je m'étais trouvé dans une situation semblable ; je ne me serais pas gêné pour tuer une bonne centaine, voire un bon millier de femelles autour de moi. Et ce geste ne m'aurait pas dispensé de sombrer dans l'ivresse ou dans la folie. Mais rendons plutôt grâces à Dieu qui a dissipé ton angoisse et ton deuil… Et maintenant dis-moi donc comment tes soucis ont disparu et de quelle manière ton visage a retrouvé ses couleurs… - Ô roi, je désire que tu me dispenses, au nom de Dieu, de m'expliquer devant toi sur cette nouvelle transformation. - Il faut absolument que tu t'en expliques. - J'ai peur de te voir tomber dans des soucis et dans une inquiétude pire que les miens. - Comment cela, ô mon frère ? … Allons, raconte car je ne puis revenir sur l'ordre que je t'ai donné. Il faut absolument que tu me fasses le récit de ton aventure.

Alors Chahzamane lui raconta tout ce qu'il avait vu par la fenêtre de son palais, lui révélant l'infortune qui gisait en la propre maison de celui-ci sous les traits de dix esclaves mâles déguisés en femmes, qui dormaient de jour comme de nuit avec ses servantes et ses favorites. Il lui rapporta tout, du commencement à la fin (revenir sur ce sujet ne présente aucun avantage). Puis il conclut par ces mots : " Lorsque j'eus compris l'infortune dans la quelle tu te trouvais toi-même, j'oubliais la mienne, en me disant que j'étais moins malheureux que d'autres, puisque mon frère, bien qu'il fût roi de toute la terre, abritait l'infamie dans sa propre demeure. Mes soucis se dissipèrent, j'oubliais tous les sentiments désagréables qui m'avaient habité, recouvrai ma liberté d'esprit et, avec elle, le goût du manger et du boire. Voilà pourquoi j'ai repris mes heureuses couleurs.

Lorsque Chahriyâr eut entendu ces paroles de son frère, lorsqu'il n'eut plus rien à apprendre sur ce qui lui était advenu, il fut pris d'une si violente colère que le sang faillit lui rompre les veines. " Frère, s'écria-t-il, je n'admettrai comme vrai ce que tu viens de me raconter que lorsque j'aurai vu la chose de mes propres yeux. " Et son courroux, après ces mots, augmenta encore. " Si tu désires voir ton malheur de tes yeux afin de croire à mes paroles, répondit Chahzamane, organise donc une expédition de chasse à laquelle nous participerons tous les deux avec notre escorte. Puis, lorsque nous serons hors de vue de la cité, nous laisserons nos tentes, le pavillon royal et le reste de la troupe, et nous regagnerons la ville. Tu viendras alors dans mon palais et tu pourras constater de tes propres yeux ce qui se passe dans tes jardins. "

Le roi savait que son frère avait raison. Il approuva le projet et donna ordre aux soldats de se préparer à une nouvelle campagne de chasse. Il passa la nuit, en compagnie de son frère et, lorsque Dieu dit paraître le jour, tous les deux montèrent à cheval et quittèrent la ville au milieu des cavaliers de leur escorte. Les serviteurs chargés de dresser les tentes et de les meubler étaient partis avant eux et avaient établi leur campement loin de la ville. Ils avaient déjà planté le pavillon royal et aménagé le vaste auvent lui servant de vestibule lorsque le sultan arriva avec ses soldats. A la nuit tombante, il fit venir auprès de lui le grand chambellan, lui délégua ses pouvoirs et le chargea de surveiller avec soin les soldats, de façon qu'aucun d'eux ne pût retourner en ville durant trois jours consécutifs. Sur quoi, lui et son frère, affublés d'un déguisement, s'empressèrent de regagner de nuit la capitale. Ils montèrent au palais où résidait Chahzamane et y dormirent jusqu'au matin.

A l'aube, tous deux s'installèrent aux fenêtres qui donnaient sur le jardin et bavardèrent jusqu'au moment où le jour fût complètement levé. Enfin le soleil parut déversant sa lumière sur toutes choses. Les deux frères guettaient la porte secrète qui ne tarda pas à s'ouvrir, et l'épouse du roi Chahriyâr en franchit le seuil, selon son habitude, escortée par ses vingt servantes. Elles se promenèrent un instant, sous les arbres et furent bientôt rendues sous les murs du palais où se trouvaient les deux rois. Dans l'instant, les dix esclaves noirs enlevèrent leurs vêtements féminins et furent aussitôt sur les dix dames qu'ils se mirent en devoir de conjoindre. Quant à la reine, elle criait déjà : " Mas'oud ! Ô Mas'oud ! " Sur-le-champ, l'esclave noir sauta de son arbre, retomba lestement sur ses pieds et la rejoignit en disant : " Qu'as-tu vu donc, ô mon trou ? Vois comme je vole à ton secours, moi, Sa'd-al-Dine, surnommé Mas'oud, le " Fortuné " ! Ces mots la firent rire aux éclats. Sans plus attendre, elle s'étendit sur le dos et l'esclave entra en elle, s'employant à lui faire son affaire à l'exemple des dix autres. Après quoi tous procédèrent à leurs ablutions. Les hommes revêtirent leurs habits de femmes et se mêlèrent aux servantes. Puis le cortège se reforma, reprit son chemin et s'engouffra par la porte secrète qui fut de nouveau verrouillée de l'intérieur. Quant à Mas'oud, il avait escaladé le mur pour aller là où l'appelaient ses affaires.

Les deux rois quittèrent alors leur observatoire. A la vue du spectacle offert par son épouse et ses servantes favorites, la sultan Chahriyâr avait manqué perdre la raison : " Si de tels faits se déroulent dans mon palais, au centre même de mon royaume, il me semble certain que personne, de par le monde, ne peut se vanter d'échapper à pareille aventure. Maudites soient les créatures d'ici-bas ! Maudit soit le siècle ! Ce qui m'est advenu n'est rien moins qu'une terrible catastrophe ! Puis il s'approcha de son frère et lui dit : " Veux-tu me donner ton accord sur un projet que je voudrais mettre à exécution ? - Lequel ? demanda Chahzamane. - Lève-toi et viens avec moi : nous renoncerons à notre pouvoir royal afin de parcourir le vaste monde, nous garder d'autre souci en tête que l'amour du Dieu Très-Haut. Quittons vite ces lieux où l'on nous a trahis. Nous ne regagnerons notre demeure que lorsque nous aurons rencontré quelqu'un dont l'infortune dépassera la nôtre. En attendant cette trouvaille, nous voyagerons de province en province. A quoi pourrait bien nous servir le pouvoir dans la situation où nous sommes ? - Tu as raison, répondit Chahzamane. Je me rends de grand cœur à ta proposition.

Peu après, ils quittaient le palais par une porte secrète. Empruntant des voies peu fréquentées, ils s'éloignèrent de la ville et s'en allèrent leur chemin. Les deux frères marchèrent jusqu'à la tombée de la nuit, dormirent sous les arbres d'une certaine forêt et se remirent en marche, le lendemain matin, dès que le jour se fut levé. Ils débouchèrent alors dans une plaine étroite, au bord de la mer salée, où poussaient de nombreux arbres et toutes sortes de plantes. Ils s'assirent en ce lieu et mirent à converser sur leur infortune, évoquant à loisir les mésaventures qu'ils avaient subies.

Ils se livraient à cette occupation lorsqu'un cri retentit tout à coup au milieu de la mer, suivi par une clameur immense. La peur les fit trembler… Ils grimpèrent se cacher dans un grand arbre…Puis la mer se fendit et une colonne noire émergea des flots… La forme gigantesque atteignit la rive et se hissa sur la terre ferme où elle prit l'apparence d'une ifrite, oui, d'un djinn de couleur noire qui se dressa de toute sa taille et se mit à marcher, portant sur sa tête un coffre en verre fermé par quatre cadenas d'acier. L'être en question traversa la prairie et, voulant s'asseoir à l'ombre d'un arbre, n'en trouva, à son goût, que celui où étaient perchés les deux rois. Il s'arrêta dessous, posa sur le sol le coffre en verre, et, à l'aide de quatre clefs différentes, ouvrit les quatre cadenas. Et voilà que surgit une adolescente de taille parfaite, aux formes harmonieusement proportionnées… " Ô toi, la perle de toutes les favorites de la terre, dit-il, celle que j'ai enlevée la nuit même de ses noces, sache que j'aimerais dormir un peu. " Puis il mit la tête sur les genoux de la jeune femme et s'étendit de tout son long, ses pieds atteignant presque le bord de la mer. Sur quoi, il sombra dans in profond sommeil…

L'adolescente fit signe aux deux frères de descendre sans bruit la rejoindre… " Il faut absolument que vous veniez près de moi, leur dit-elle. " Eux cependant lui faisaient comprendre par signes que l'ifrite qui reposait près d'elle était l'ennemi implacable du genre humain… " Je vous somme de descendre, les menaça-t-elle, alors, sinon je réveillerai l'ifrite pour qu'il vous tue. "…Lorsqu'ils furent près d'elle, elle se coucha sur le dos, leva les jambes en l'air et leur dit : " Baisez-moi, faites-moi mon affaire, sinon je n'hésiterai pas à tirer l'ifrite de son sommeil pour qu'il vous tue ". …
Devant pareille insistance, ils ne purent s'empêcher d'obéir. Ils la conjoignirent donc tous les deux….Ils se levèrent de dessus l'adolescente, et celle-ci, en retour, leur ordonna : " Et maintenant passez-moi vos anneaux ". Elle sortit de l'intérieur de ses vêtements un petit sac, l'ouvrit et, le renversant, fit tomber à terre tout ce qu'il contenait, soit quatre-vingt-dix-huit anneaux, tous de couleurs et de modèles différents. " Savez-vous ce que sont ces anneaux ? demanda-t-elle. - Non, confessèrent-ils. - Leurs possesseurs ont tous couché avec moi. Sachez en effet que chaque fois qu'un homme me baise, je lui prends son anneau. Donc, puisque vous m'avez baisé tous les deux, vous n'avez plus qu'à me donner les vôtres…Lorsque la femme veut quelque chose, il n'est personne au monde qui puisse l'empêcher de l'obtenir. "…

Les deux frères tournèrent donc les talons et reprirent leur route. Tout en marchant, Chariyâr disait à son frère : " Ô Chahzamane, mon frère, considère le cas de cette adolescente. Par Dieu, l'infortune dont elle est la cause dépasse encore la nôtre… Retournons donc en notre royaume et dans notre ville, ô mon frère, et renonçons aux femmes. Quant à moi, je te ferai voir bientôt la conduite que j'ai décidé d'adopter ".

Télécharger

 

Analyse de Chariyâr trompé par sa femme