La force de l'amour - Ghânim nommé
gouverneur de Damas



Toulouse-Lautrec, La danse au Moulin rouge

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La force de l'amour - Ghânim nommé gouverneur de Damas

Mais revenons un peu en arrière, au moment où l'Émir des Croyants apprenait la mort de son cousin, le gouverneur de Damas. La nuit lui apporta son cortège de soucis : cette perte était grande, et qui remplacerait Mouhammad al-Zaynabî pour gouverner là-bas ? Au conseil du lendemain matin où le khalife, comme d'ordinaire, trônait sur le siège qui lui était réservé, il interpella Dja'far : " Quelles affaires, ô Dja'far, sont appelées aujourd'hui parmi les questions politiques dans le royaume ? " Dja'far, se plaçant devant le khalife, baisa le sol en signe de respect, présenta l'assurance de son dévouement et fit des invocations à Dieu en faveur de son maître qu'il souhaitait voir abreuvé de Ses grâces et pérennisé dans sa puissance. Pour finir, il s'écria : " Longue vie à l'Émir des Croyants ! "

Après quoi, il étala les rôles, qui constituaient l'ordre du jour. Désignant l'une des feuilles , il signala : " Ici est soulevée la question, ô Émir des Croyants, de la succession de Mouhammad al-Zaynabî, émir gouverneur de Damas décédé, qu'il convient que ta Félicité songe à remplacer ". - " Je sais, répliqua le khalife, mais qui avons-nous qui puisse raisonnablement briguer ce poste ? " Justement Ghânim était assis près du khalife, qui se tourna alors dans sa direction et sourit, puis déclara, regardant Dja'far : " Affaire réglée ! Dja'far, celui que nous enverrons pour gouverner Damas et son district se trouve ici présent. Auparavant tu auras à prendre en charge tout ce qu'il faut pour le voyage et son installation ". Il ordonna aussitôt qu'on lui fît tenir, à l'intention de l'intéressé, une tenue d'honneur de grand apparat, et il la remit lui-même à Ghânim. Le nouveau promu se leva et alla baiser le sol devant le khalife. La musique entama une joyeuse fanfare, puis le souverain fit jurer allégeance à Ghânim selon le rite coutumier, sur le sabre et le Qoran. On pavoisa dans tout Baghdad en l'honneur du gouverneur qui partait pour Damas et toute la ville fêta la nomination. Au palais, quand Masrour entra dans les appartements de Séduction, il volait presque de joie, à telle enseigne que la concubine lui en demanda la raison : " Pourquoi te vois-je dans cet état, et quelle est la musique que l'on joue sans raison apparente ? - Ô dame mienne, pour la musique, c'est ce que j'étais venu t'annoncer, et tu vas savoir pour qui elle joue : mon maître Ghânim vient d'être nommé émir de Damas et gouverneur de cette ville, en remplacement de Mouhammad al-Zaynabî, décédé. Tout le sérail est en fête… ".

Cependant, la mère de Ghânim était au palais ; elle y passait le plus clair de son temps, parce que le khalife la voulait auprès de lui, tant il l'affectionnait. Quand on apprit à cette femme que son fils était devenu gouverneur de Damas, elle en conçut une telle joie qu'elle en perdit connaissance, et qu'il fallut la ranimer à l'eau de rose, dont on lui aspergea le visage. Elle revenait à peine à elle que le khalife se présentait en personne dans ses appartements, accompagné du nouvel émir de Damas et du vizir Dja'far, et tout ce monde-là s'adonna ensemble à la fête. Le khalife, pour l'occasion, fit remettre une tenue d'honneur de grand apparat à Séduction, une seconde à la mère de Ghânim, une troisième à sa cousine dame Zoubayda, une autre enfin à Nourriture-des-Cœurs. Ce ne fut pas tout : le personnel du palais eut des cadeaux ; on n'excepta de la distribution ni servantes, ni domestiques, ni esclaves. Il y eut aussi des dons de dame Zoubayda : ainsi elle offrit une tenue d'honneur à Séduction et voulut préparer elle-même ce qu'il fallait pour le voyage du gouverneur et de son épouse. Pour ce faire, elle prenait tout ce qu'il y avait de plus précieux chez elle et elle en prélevait une part, qu'elle allait serrer dans un coffre à l'intention de son ancienne rivale, devenue pour elle l'objet d'une telle amitié que les nuits manquent pour le décrire. Nourriture-des-Cœurs fit comme dame Zoubayda : elle avait une profusion de pierres précieuses et d'objets d'art, elle se défit d'une partie de ces biens pour en faire don à Séduction.

La musique ne cessa de résonner au palais, un mois durant, les trente jours et les trente nuits. Et les fêtes populaires en ville faisaient écho aux réjouissances du palais, pour le plus grand plaisir du khalife, qui aimait Ghânim comme un fils.

Après ces trente jours de liesse qui animèrent Baghdad bien plus que s'il s'était s'agi de noces, Damas emboîta le pas à la capitale, dès qu'elle connut le nom de son nouveau gouverneur ; elle lui réserva des cérémonies publiques plus chaudes que ne le réclament de semblables circonstances et n'oublia pas la reconnaissance due au khalife, béni en cette occasion.

A Baghdad était venu pour Ghânim et son épouse Séduction le moment de prendre congé du khalife, de dame Zoubayda, de Nourriture-des-Cœurs, après quoi il fallut se mettre en route. Le vizir Dja'far laissa partir son épouse, la mère de Ghânim, car le khalife en avait donné l'ordre : par égard pour le fils, il préférait qu'elle fût avec lui et sa femme.

Quand les voyageurs eurent atteint Damas, il y furent accueillis en grande pompe par un cortège venu à leur rencontre et où figuraient les hauts fonctionnaires, les notables, les clercs et les magistrats, sans compter les gens du peuple venus les accompagner. On escorta ainsi le nouveau gouverneur jusqu'au trône royal de la province, dont Ghânim prit possession, à la grande joie de sa mère. Elle remerciait Dieu, qui lui avait permis de regagner sa ville d'une façon qui ne rappelait en rien la manière dont elle en était sortie. Gloire à Celui qui fait tout changer sans jamais changer Lui-même ! Mais quelle différence entre hier et aujourd'hui, ne pouvait-elle s'empêcher de penser !

Ghânim, une fois installé dans le pouvoir et paré de ses attributs, édicta, prohiba, en un mot fit ce que font les rois inspirés par l'équité, mais il le fit si bien et avec un tel sens de la justice, qu'il transforma Damas en une véritable épousée, dont la face rayonne le jour de ses noces. Il bâtit. Il eut de son épouse, au bout d'un an, un garçon qu'il nomma Djamâl al-Dîne, " Beauté-de-la-Religion ". Pendant les dix-huit premières années de ce fils, la famille habita Damas.

Ce fut, dans ces années-là, qu'une ligue se fédéra autour de la dynastie persane contre l'Émir des Croyants : elle avait levé une armée forte d'éléments enrôlés également en Inde et dans le Sind, la vallée de l'Indus, et qui finit par porter la guerre contre le khalife. Quand la guerre éclata, Ghânim, malade, était contraint de garder la chambre. A Baghdad, le khalife avait rassemblé des troupes et s'était personnellement mis à la tête de ses cavaliers pour affronter l'ennemi, un ennemi d'ailleurs, qui l'emportait en nombre, comme on le sut bientôt à Damas, où l'on disait dans la population que la terre entière avait fourni des bataillons pour se mobiliser contre le khalife. Et Ghânim, de son lit, apprenait ses rumeurs, impuissant. Il fit part à sa femme de ses regrets : " Ah ! si seulement Beauté-de-la-Religion, notre fils, avait atteint l'âge d'un homme mûr, nous l'aurions envoyé avec un contingent de soldats prêter main-forte au khalife… ".

Mais le fils était là, qui entendait, et faisait semblant de ne pas comprendre de quoi il s'agissait. Il alla au chevet de son père et lui demanda la permission de partir pour la chasse. Il faut savoir que c'était un garçon que, depuis l'âge de quatre ans, on avait poussé dans les études, et qui y avait réussi, car il était expert dans les sciences et dans l'éloquence, même versifiée. Surtout, il s'était fait une réputation méritée dans l'équitation et l'art du combat, au point d'avoir remporté tous les ans la victoire sur ceux qui l'affrontaient à l'hippodrome. Son père l'autorisa donc à aller chasser et lui, qui avait recruté deux mille cavaliers et préparé ce qu'il fallait pour un long voyage, franchit la porte de la ville. Là, il déclara aux soldats qui l'accompagnaient : " Nous prenons route vers Baghdad ".

Le voyage dura quelque temps, de Damas à la capitale, mais quand ils y furent, leur premier soin fut de demander où se trouvait le khalife ; ils s'entendirent répondre : " En campagne contre l'ennemi. Mais, selon nos informations, il est en difficulté, car ses soldats sont moins nombreux que ceux qu'il affronte. - Où a lieu le combat ? - Dans telle et telle région ". L'ordre fut immédiatement donné à la troupe de se diriger vers le champ de bataille. Sur le chemin, d'autres volontaires vinrent grossir les effectifs de la colonne, qui arriva au front forte de six mille hommes. Mais le noyau de cette armée était constitué par les compagnons de Damas, des braves et des délurés, des cavaliers émérites, et de plus, fort dévoués au fils du gouverneur, Beauté-de-la-Religion. Celui-ci, en arrivant sur le théâtre des opérations, ne put que constater la déconfiture de l'armée du khalife, poursuivie par un ennemi plus puissant. Il se lança alors dans l'affrontement, jetant ses cavaliers au-devant des vainqueurs, et déploya une telle vigueur dans l'effort qu'il retourna la situation. A la fin, il put s'emparer de leur équipage, leur prenant armes et bagages, ainsi que leurs bêtes. Les princes royaux de l'adversaire furent faits prisonniers.

La khalife avait d'abord cru à une attaque ennemie, venue l'encercler par derrière et, se jugeant pris en étau, il commençait à céder à la panique, d'autant plus que, pour fuir, ses hommes se rapprochaient du front. Il n'avait nullement reconnu dans les soldats de Beauté-de-la-Religion des alliés, mais les tenait pour une aile que l'adversaire déployait dans son dos. Il dut vite revenir de son erreur, car ceux-là même qui fondaient sur lui et ses troupes, loin de les affronter, les passaient, gagnaient la ligne où l'on se battait, attaquaient l'ennemi, qu'ils enfonçaient et chassaient devant eux. Le khalife mit pied à terre et ses compagnons avec lui : à qui pouvaient bien être ces vaillants et providentiels bataillons ? L'étonnement grandit encore quand on vit leur chef, ce jeune homme d'un âge encore tendre, à qui l'on ne donnait pas même dix-huit ans, et qui avait fait montre d'un tel sens tactique. Beauté-de-la-Religion en effet avait à son actif non cet exploit accompli aux dépens des ennemis du khalife, mais encore la récupération du butin qu'ils avaient saisi, augmenté d'un butin pris sur eux et impossible à évaluer, la libération des prisonniers précédemment abandonnés au vainqueur, et pour finir la capture de deux fils de rois qui s'étaient montrés si vaillants et si fins stratèges que le khalife lui-même les avait admirés.

Celui-ci, encore tout étourdi de son heureuse surprise, voulut savoir à qui il devait la victoire de ses armes. Beauté-de-la-Religion vint donc se présenter à lui, mit pied à terre, mais le khalife, sortant de son pavillon de toile, alla au-devant de ce brave, qu'il serra contre lui et se mit à embrasser : c'était un inconnu à qui il décernait ces marques de gratitude. Mais bientôt, en le regardant mieux, il vit qu'il n'avait pas seulement affaire à un preux, mais à un homme d'une beauté accomplie, que signalaient à l'attention de tous et ses traits et son corps ; le khalife glorifia Dieu d'avoir créé un tel homme, et de fait, Beauté-de-la-Religion portait chacune de ses qualités à la perfection, ce que le poète à son propos, avait si bien dit, dans son panégyrique :

Des flots d'azur, que verse l'aurore
Dans la coupe du ciel, voilà son regard ;
Sur ses pommettes se moissonnent les roses,
Refleurissant à l'envi, sitôt cueillies.


Si sa chevelure est noire,
Semblable à l'épaisse nuit, sur son front, au contraire
Éclate la lumière de l'aurore.

De toutes les créatures qu'orne la beauté
Sans conteste il est le prince ; si jamais
Ses sujets venaient à entrer en rébellion
Contre lui, ils connaîtraient sa vindicte.

Sur sa vie, il est cher à mon cœur,
Et mes yeux le prisent par-dessus tout ;
Sur sa vie, je peux jurer que sa vie
N'est que secrets partagés avec chacun.

Et toutes les créatures qu'orne la beauté
Sont ennoblies de son modèle, lui l'étalon
De toutes les grâces, car elles l'habitent
Et l'accompagnent sans le quitter d'un pas.

C'est le faon de la gazelle au pas hésitant !
Il n'a qu'à prendre en sa main un miroir :
Celui-ci réfléchira, fidèle et flatteur,
L'absolu de beauté que son rêve y projette.

Puis le khalife regagna son pavillon avec lui, sans avoir négligé de régler en sa présence, comme en homme à celui qui les avait capturés, le sort des princes, des prisonniers, qu'il avait fait entraver. Une fois tous deux entrés, la conversation commença : " Apprends-moi, jeune cavalier, commença le khalife, d'où tu viens et qui sont tes soldats. Qui t'a envoyé ici ? - Pardonne-moi, ô Émir des Croyants, personne ne m'a commandé de venir en ce lieu : je m'y suis rendu de mon propre chef. Quant au reste, je suis, si j'en crois ma mère, le fils de Ghânim, celui à qui tu as accordé la grâce de représenter ton sceptre à Damas. Ma mère est Séduction, la femme qui a d'abord été concubine de notre maître l'Émir des Croyants avant que celui-ci ne fît d'elle un don généreux à Ghânim mon père. ". A ces mots, le khalife se reprit à serrer ce jeune homme contre son cœur et à lui décerner de chaudes accolades, tant sa joie à le connaître le faisait exulter. " Mais, comment, continua-t-il, as-tu pu arriver jusqu'ici sans la permission de Ghânim ton père ? " Beauté-de-la-Religion raconta comment les choses s'étaient passées : " Mon père était malade, expliqua-t-il. Lorsqu'il apprit que les ennemis faisaient nombre et que leurs cohortes de cavaliers fonçaient contre ta Félicité, il fut doublement chagriné, car la maladie l'empêchait de sauter en selle et de se présenter devant toi, afin d'offrir ses services à l'Émir des Croyants. Un jour, je l'entendis dire à ma mère : " Ah ! si seulement Beauté-de-la-Religion, notre fils, avait atteint l'âge d'un homme mûr, et qu'il eût au moins vingt-cinq ans, nous l'aurions envoyé avec un contingent de soldats prêter main-forte au khalife… ".

" Ces paroles, je les recueillis dans le creux de mon oreille. J'entrai, me rendis au chevet de mon père, et lui demandai la permission de partir pour la chasse. " Père, lui déclarai-je, j'ai comme un poids sur la poitrine, et si je pouvais poursuivre le gibier, ne serait-ce que trois ou quatre jours, je m'en sentirais bien mieux. " Il ne m'accorda qu'à grand peine cette permission. Mais dès que je l'eus, et sans perdre un instant, je me préparai au voyage, me faisant accompagner de deux mille soldats environ. Parti avec ce contingent respectable, j'arrivai ici avec un effectif triplé… Telle est mon histoire : bref, je ne suis venu que pour me mettre au service de l'Émir des Croyants en lieu et place de mon père empêché par la maladie. " Ce langage comblait d'aise le khalife, qui accorda à son sauveur une tenue d'honneur de toute beauté. Désireux de reconnaître en lui un grand stratège doublé d'un brave, il lui confia le commandement suprême de ses armées, et fit donner la fanfare en l'honneur du nouveau général en chef.

Ces cérémonies terminées, les troupes regagnèrent leurs quartiers de Bagdadie ; le khalife, qui avait immédiatement éprouvé pour Beauté-de-la-Religion l'inclination que l'on sait, le garda pendant tout le voyage dans son pavillon de toile et aux étapes ne mangeait et buvait que s'il était avec lui, prouvant ainsi qu'il lui avait délégué l'autorité sur toutes les questions de la guerre.

Mais les troupes furent précédées dans la capitale par la nouvelle de la victoire du khalife : aussitôt l'on pavoisa et l'on y reçut le vainqueur en triomphe. Jamais une telle pompe, jamais un tel luxe de puissance et une telle profusion de richesses n'avaient été déployés. Le jeune général défilait à la droite du souverain, qui l'emmena avec lui jusqu'au palais, où il convoqua Nourriture-des-Cœurs, la tante du garçon et dame Zoubayda. Il demanda aux femmes si elles savaient qui était cet adolescent. Mais, elles, à peine leurs regards étaient-ils tombés sur cet étranger qu'elles abaissèrent précipitamment sur leurs traits leur voile de visage, et même qu'elles assortirent leurs gestes de cette protestation : " Pardonne-nous, ô Emir des Croyants, mais ta conduite mérite quelques explications : Comment ? Voilà qu'arrive au palais un jeune inconnu, dont la beauté fait rougir de confusion la pleine lune quand elle se lève à l'horizon, et ta Félicité nous convoque afin que nous nous présentions devant lui ?... ". Le reproche plongea le khalife dans l'hilarité : " Si je vous ai envoyé chercher, expliqua-t-il, c'est justement que je voulais vous le montrer et vous faire trouver qui c'était, et qui était son père, quelqu'un que vous avez bien connu, oui ! Allez, vous pouvez relever votre voile… ".

Elles obéirent toutes deux, mais elles étaient, dans cette devinette, loin de brûler, et l'avouèrent au khalife : " Nous n'avons pas la moindre idée, pas la moindre piste, ô Émir des Croyants ! - Où se trouve " Soleil-des-Lunes " ? demanda alors le khalife ". La jeune fille qui portait ce nom était la propre enfant du souverain et de Nourriture-des-Cœurs, la sœur de Ghânim. " Dans ses appartements, répondirent les deux femmes. - Qu'on me l'amène ! " Quand Soleil-des-Lunes fut là, le khalife la fit asseoir à côté de Beauté-de-la-Religion, et fit également asseoir la mère de la jeune fille de l'autre côté du jeune homme, auquel il annonça : " Voici ta tante, Nourriture-des-Coeurs, ô Beauté-de-la-Religion, celle qui a pensé devoir se voiler devant toi, son neveu ! Je te présente aussi ta cousine Soleil-des-Lunes ". Nourriture-des-Cœurs avait compris : ainsi, ce Beauté-de-la-Religion était le fils de son frère ! Elle bondit vers lui, le serra dans ses bras et le couvrit de baisers, puis dame Zoubayda lui emboîta le pas. Pendant ces effusions, le khalife s'occupait de faire venir hommes de loi et témoins, et un contrat de mariage fut expédié, qui unissait Soleil-des-Lunes à Beauté-de-la-Religion. On célébra des noces splendides comme il n'en avait jamais été célébrées à Baghdad. Le khalife traita son gendre en véritable fils : il faut dire qu'il avait tout pour séduire, avec sa distinction, son éloquence, son savoir en sciences, en belles-lettres, et j'en passe. Le souverain le garda près de lui, mais il tint à envoyer à Damas des dépêches par la route des postes, pour donner aux siens de ses nouvelles. Voilà en ce qui concerne Beauté-de-La-Religion.

Quant à Ghânim et Séduction, que nous avions laissés à la veille de cette prétendue chasse, ils attendirent le retour de leur fils au bout du temps escompté. Ne le voyant pas revenir, ils ne laissèrent nulle place sans la fouiller, et comme leurs efforts pour le retrouver restaient vains, ils tinrent pour assuré que le jeune homme était mort, peut-être dévoré par un fauve. Ce ne furent que pleurs et gémissements sur sa disparition. Les parents étaient en plein deuil lorsque se présentèrent des messagers, qui avaient emprunté, pour aller plus vite, l'itinéraire de la poste, et qu'on signalait à l'entrée de Damas. L'un d'eux, qui était porteur d'une lettre du khalife, demanda à pénétrer auprès du gouverneur, mais on lui en refusa la permission en ces termes : " L'émir Ghânim est en deuil, son fils ayant disparu, et son affliction est si profonde qu'il s'est enfermé depuis cinq jours, ne s'autorisant à voir personne ". A ces mots, le messager répondit au chef des eunuques : " Entre et avertis l'émir Ghânim que je viens de la part de l'Émir des Croyants, et que, dans le courrier que je transporte, il y a une lettre de son fils Beauté-de-la-Religion ".

Le chef des eunuques ne se le fit pas dire deux fois, et vola transmettre la nouvelle à son maître Ghânim, puis à sa maîtresse Séduction. Le père courut vers le messager, lui prit la lettre des mains, et se précipita dans les appartements de sa femme pour lire le message devant elle. Il racontait les exploits de leur fils Beauté-de-la-Religion, sa victoire sur les ennemis du khalife, dont il était devenu le gendre, ayant épousé Soleil-des-Lunes, sa fille. Les parents ne se tenaient plus de joie. Ils vécurent désormais une vie pleine de satisfactions et de prospérité, jusqu'à ce que vînt à leur rencontre Celle qui ruine les plaisirs et disperse les assemblées.
(Les Mille et Une Nuits, Traduction R. Khawam, Phébus libretto, 4è tome, p. 380-393)

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Analyse de Ghânim, nommé gouverneur de Damas