Le jaloux et la perruche




Perruches

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Le jaloux et la perruche


Il était une fois un homme extrêmement jaloux, marié à une femme, pourvue de formes délicieuses, qui avait, pour elle, la beauté, l'éclat et mille perfections. Mais ces qualités mêmes, jointes à sa propre jalousie, empêchaient notre homme de partir en voyage comme il l'aurait voulu, tant il craignait de laisser seule son épouse. Un jour que la nécessité l'obligeait absolument à partir, il eut l'idée de se rendre au marché aux oiseaux et d'y acheter une perruche, qu'il chargea d'observer, en son absence, tout ce qui se passerait dans la maison et de lui en tenir la chronique fidèle à son retour. Or la perruche en question se trouvait être intelligente et fort instruite, douée de sagacité autant que de vigilance….

L'homme put ainsi s'en aller au loin et mener ses affaires. A son retour, il se ménagea un entretien seul à seule avec la perruche et lui demanda de lui raconter tout ce qu'avait fait sa femme pendant son absence. La perruche lui apprit ainsi à quels jeux se livrait la donzelle avec son ami et ne lui cacha rien du détail des ébats dont ils faisaient leur quotidien en l'absence du maître de maison. Lorsqu'il eut entendu la chose, le mari, au comble de la colère, ne manqua pas d'aller trouver son épouse et de la rassasier de coups. La femme crut d'abord qu'elle avait été la victime de l'indiscrétion d'une des servantes de la maisonnée et se mit en devoir de les confesser l'une après l'autre. Toutes lui jurèrent avoir surpris les confidences de l'oiseau à son mari : c'était la perruche et elle seule, qui avait tout rapporté.

Ayant constaté de diverses sources que c'était bien le volatile qui l'avait trahie, la femme décida alors de recourir à un stratagème. Une nuit que son mari avait dû quitter la maison, elle ordonna à l'une de ses servantes de recouvrir d'une étoffe noire la cage de l'oiseau puis de tourner par là-dessus la manivelle d'une meule à bras, cependant qu'une autre servante aspergeait d'eau la cage, qu'une autre s'employait à renverser bruyamment divers objets en fer, et qu'une autre s'occupait de manœuvrer un miroir devant la lampe.

De retour, au lever du jour, le mari interrogea la perruche et lui demanda ce qui s'était passé en son absence cette nuit-là. " Maître, répondit l'oiseau, reçois mes excuses car je ne puis rien te dire. De toute la nuit, en effet, je n'ai rien pu voir ni entendre, tant j'étais aveuglée par l'épaisseur des ténèbres et abasourdie par la violence de la pluie et par l'insistance des coups de tonnerre mêlés d'éclairs qui se sont succédé sans relâche jusqu'au matin. " Or on était au mois le plus sec de l'année, au cœur même de l'été… " Malheur à toi s'irrita l'homme. Ignores-tu que nous ne sommes pas encore à la saison où il pleut ! - Par Dieu ! tout ce que je t'ai rapporté, je l'ai pourtant vu et entendu cette nuit, insista l'oiseau. Ce qu'entendant, le mari fut persuadé que la perruche avait l'habitude de mentir et qu'elle n'avait fait que l'abuser en lui rapportant les prétendues aventures de sa femme. Fort en colère contre l'oiseau, il introduisit sa main dans la cage, s'empara de celui-ci et le jeta par terre avec la dernière violence. Ainsi mourut la perruche. Pus tard, l'homme apprit par des voisins que ce que lui avait dévoilé l'oiseau était vrai. Comprenant enfin à quel stratagème avait eu recours son épouse, il se repentit - mais trop tard - d'avoir fait disparaître un informateur si précieux.

Le roi reprit : " Je suis dans le même cas, ô vizir. La jalousie s'est insinuée en toi et te fait médire de cet homme. Voudrais-tu que je le fasse mettre à mort et qu'après cela je sois pris de repentir, comme s'est repenti le possesseur de la perruche ? A ces paroles du roi des Grecs, le vizir répliqua : " O roi de rang élevé ! ce médecin ne m'a rien fait de mal ; je n'ai éprouvé personnellement aucun dommage de son fait. Non, je ne te parle ainsi que poussé par la sollicitude que j'éprouve pour ta personne et par peur de te voir aller à ta perte. Si tu constates la fausseté de ce que je te dis, fais-moi mourir comme on fit jadis mourir ce vizir qui s'était servi d'une ruse pour provoquer la perte d'un certain fils de roi… " Et que lui arriva-t-il donc ? s'enquit le roi des Grecs. - Il lui arriva ceci… "
(Les Mille et Une Nuits, René R. Khawam, Phébus Libretto, tome 1)

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